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« On
bahute les bazars », l’expression est des élèves de deuxième
année de l’école de Saint-Cyr Coëtquidan pour traduire leur bizutage.
En effet, dans cette grande école, initier les jeunes recrues
fait partie de la tradition et peut même se dérouler dans des
conditions difficiles. C’est un rite d’agrégation à une
nouvelle communauté avec une phase de « séparation »
et de mise en « marge » pour reprendre les termes de
A. Van Gennep qui a bien discerné trois étapes dans
son livre Les rites de passage (1909). Inviter régulièrement
ses amis à dîner, téléphoner à sa belle-mère tous les dimanches,
jouer au Loto, aller au stade encourager l’équipe de football
de sa ville,…sont des rites contemporains. Les rites étudiés par V.
Turner, dans son livre Le phénomène rituel,
sont des rites qui se rattachent à des sociétés traditionnelles.
De même, au début du siècle, E.
Durkheim, puis son neveu M.
Mauss se sont intéressés aux rites dans les sociétés
archaïques et en rapport avec la religion. E. Durkheim en 1912, quand
il publie son dernier livre : Les formes élémentaires
de la vie religieuse donne des rites cette définition :
« les rites sont des règles de conduite qui prescrivent
à l’homme comment se comporter avec les choses sacrées ».
Pour E. Durkheim, le rite s’insère dans la religion et il examine
ses effets au sein du groupe. Dans les années soixante-dix, le
sociologue J. Cazeneuve, dans
son livre : Sociologie du rite (1971) donne la définition
des rites suivante : « Le rite est une action qui
est suivie de conséquences réelles ». Cette définition
est minimaliste et nous reprendrons celle, plus exhaustive de
C. Rivière. En effet, celui-ci,
définit les rites dans le dictionnaire de sociologie sous la direction
de R. Boudon, comme « des
actes répétitifs et codifiés, souvent solennels, d’ordre verbal,
gestuel et postural, à forte charge symbolique ». La
définition de C. Rivière permet
de bien définir les rites contemporains. Pour les sociétés « traditionnelles»,
le rite est souvent en rapport avec la religion ou des forces surnaturelles
comme ne mana, étudié par M. Mauss.
Le site a une dimension plus « sacrée ». Nous étudierons
les rites dans les sociétés « traditionnelles » et contemporaines
en prenant des exemples chez les auteurs classiques et dans la
vie quotidiennes des sociétés occidentales. La notion de rite donne une explication
objective de phénomènes sociaux aussi bien que dans les sociétés
« traditionnelles » que contemporaines. Permet-elle
d’appréhender le monde social dans son unité et sa globalité ?
Des pratiques sociales usuelles sont-elles toujours rituelles ? Nous cernerons d’abord la notion de rite dans les sociétés
« traditionnelles » et contemporaines en tant qu’outil
permettant de décrire et d’expliquer des pratiques sociales. Le
rite est vu plutôt comme un outil explicatif et on s’attache à
l’observer et à l’interpréter. On essaie de généraliser à partir
d’une ou plusieurs pratiques. Nous nous attacherons ensuite à
montrer que le rite n’est qu’ un outil ou qu’une pratique
de cohésion sociale par exemple. Comprendre les rites ne permet
pas de comprendre toute la société aussi bien « traditionnelle »
que contemporaine. Le rite ne donne qu’une explication d’un monde
social complexe. La notion de rite permet d’appréhender
la société en tant qu’outil d’observation. Les auteurs classiques ont étudié les rites des sociétés « traditionnelles ».
F. Tönnies
dans son ouvrage majeur de la fin du XIXe siècle : Communauté
et société (Gemeinschaft und Gesellschaft) décrit deux
types de sociétés. Une est de type communautaire où le
lien social est fort et la conscience est commune, l’autre est
celle que nous connaissons aujourd’hui. S’intéresser aux sociétés
« traditionnelles », c’est les décrire comme des communautés
de taille et de caractéristiques différentes des sociétés contemporaines.
C’est ce que fait E. Durkheim quand il essaie de comprendre la
religion. Dans son ouvrage de 1912, Les formes élémentaires
de la vie religieuse, E. Durkheim étudie le totémisme
australien, voulant ainsi appréhender la religion dans sa totalité,
à partir d’une religion particulière, la plus simple possible.
Il étudie le culte du totem
à partir de clans particuliers. E.
Durkheim donne une définition de la religion comme
« système solidaire de croyances et de pratiques relatives
à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites »
et il définit aussi les rites comme des « règles de conduite
qui prescrivent comment l’homme doit se comporter avec les choses
sacrées ». L’approche de Durkheim est classificatoire
et holiste. En effet, elle considère que la société est
un tout organisé e que la somme des parties est supérieure aux
parties elles-mêmes. Le rite est pour lui un moyen d’explication
et d’interprétation des pratiques au sein de la communauté.
Ce qui intéresse E. Durkheim, c’est le processus d’intégration
dans la société. E. Durkheim, mais aussi son neveu M. Mauss se
sont intéressés aux rituels en se posant notamment la question
de leur utilité sociale. Ils ont essayé d’expliquer le rite comme
un moyen de communiquer entre les individus et les puissances
surnaturelles. Dans l’article publié dans la revue : L’Année sociologique,
« Esquisse d’une théorie générale de la magie », H.
Hubert et M. Mauss s’inscrivent dans la tradition durkheimienne.
Ils définissent deux sortes de rites, les rites « positifs »
comme la prière ou les offrandes et les rites « négatifs »
comme les interdits ou les tabous. Comme dans l’approche
de Durkheim, le rite permet la communication entre les membres
du clan et une puissance qui les dépasse. Lee rite leur permet
de comprendre ce processus de communication. E. Durkheim analyse
les « principales attitudes rituelles » et notamment
les rites « ascétiques ». Dans ce cas, l’intégration
au groupe par le rituel n’est pas le résultat d’une démarche positive
mais par le refus de certaines pratiques, d’ "interdictions". Les interdictions ont pour but de séparer l’homme de la vie
profane, de le mettre dans un état extatique pour qu’il
puisse pratiquer le rituel et prendre conscience de la force qui
le dépasse. Pour Durkheim, le culte permet de « se créer
périodiquement un être moral ». Les rites, pour E.
Durkheim et M. Mauss, sont des outils, un moyen de compréhension
et d’explication. Leur démarche est théorique et s’appuie sur
une observation de terrain. Pour eux, le rite est moyen de comprendre
des pratiques de la société « traditionnelle ». L’analyse d’A. Van Gennep est plus proche du terrain, dans
son ouvrage majeur : Les rites de passage (1909),
il analyse le rite quand l’individu est sur le point de modifier
son état. Cette analyse s’attache à montrer l’aspect symbolique
lié à tout rituel. . Van Gennep définit les rites de passage comme des rites qui
« accompagnent chaque changement de l'état, de position sociale
et d’âge. ». Il définit trois sortes de rites qui décomposent
la séquence du passage en trois moments : « Séparation,
mariage, agrégation ». Il en déduit une théorie des rites
« préliminaire, post liminaire ». Pour van Genney les
rites d’agrégation sont des rites d’intégration. Mais avant
de s’insérer dans le groupe l’individu doit se séparer rituellement
du groupe d’origine, pour ensuite se situer à la marge, et enfin
s’agréger. Dans un chapitre sur « La grossesse et l’accouchement »,
A. Van Gennep décompose les différentes cérémonies, la grossesse
est une période où la femme enceinte est à la marge du groupe.
Il prend l’exemple des Toda de l’Inde où la femme enceinte doit
s’écarter du village. Tout un ensemble de rituels accompagne la
femme enceinte pendant les neufs mois de grossesse. La femme revient
en fin de grossesse pour accoucher et intégrer de nouveau la tribu.
L’analyse de Van Gennep explique bien le déroulement des processus
au sein de la communauté. Les rituels sont omniprésents et sont
les clés pour interpréter la vie communautaire. Dans un autre
chapitre sur les rites d’initiation, A. Van Gennep, montre
bien que l’enfant passe d’un monde à un autre, où d’un rite de
séparation à un rite d’agrégation au groupe des
adultes, son identité sexuelle détermine sa place et ainsi son
intégration. L’ouvrage d’A. van Gennep est très fécond en exemples
pour expliquer le rituel comme « magie performative »
pour reprendre les termes de P. Bourdieu.
Comme dans la tradition durkheinienne, le rite est avant tout
et surtout un outil d’intégration sociale. L’individu se sépare
d’une communauté pour en intégrer une autre et afficher les marques
d’appartenance et de reconnaissance du nouveau groupe. L’analyse
de Van Gennep est une analyse en termes de seuils, l’individu
évolue et chaque étape est marquée par des rituels. Quelle est
la réelle influence du rite dans le processus d’intégration, les
rites peuvent-ils tout expliquer ? Des auteurs contemporains s’intéressent aux rituels de la société.
L.V. Thomas, dans son livre
: Rites de mort, pour la paix des vivants en 1985, s’intéresse
aux rites funéraires. Pour lui, les « rites de mort »
ont une importance fonctionnelle dans la société et son sous-titre
permet de percevoir le souci d’intégration des individus dans
la société. Le rite est pour lui, un élément qui s’incorpore dans
un ensemble social, suffit-il à assurer l’intégration des membres
au tout ? L.V. Thomas montre la nécessité d’instaurer des
rites pour maintenir la cohésion sociale du groupe. Les
rites lui permettent d’interpréter ce moment crucial dans la vie
d’un individu et d’en tirer différentes conséquences. Même si
le rituel est bien précis, ses fonctions ou ses conséquences se
propagent à différents niveaux dans toute la société. L’interprétation
des « rites de mort » de LV Thomas lui permet de les
comprendre comme ayant différentes fonctions. En effet, pour lui,
ils permettent de renforcer les liens entre les personnes vivantes,
le rite est un moyen de cohésion sociale et groupale. A un niveau
national, aux obsèques télévisées de JF
Kennedy en 1963, des millions de personnes font corps
dans la peine avec la famille Kennedy. Le rite est interprété comme un moyen de cohésion sociale face
à un danger potentiel ou à l’anomie d’une société. Le rite
peut être interprété comme un moyen de revivifier les croyances.
Dans ce « rite de mort » toute une procédure se met
en place et le rite est bien d’ordre « verbal, gestuel et
postural ». La messe d’enterrement a lieu dans une église,
à un moment déterminé et suit un protocole bien défini. Le prêtre
fait souvent l’éloge du disparu et sa famille en profite pour
resserrer les liens. Les rites structurent la société. L.V. Thomas
dans son livre en déduit que les « rites de mort » permettent
la cohésion sociale des vivants. Ils sont « structurés et
structurants » pour reprendre l’expression de P. Bourdieu. Dans son livre : Rite et efficacité symbolique,
F-A Esambert note le pouvoir
« spécial » des rites dans tous les actes de la vie,
de la naissance à la mort. Le rite a une efficacité. Les auteurs
contemporains tendent à décrier et à interpréter les rites des
sociétés contemporaines. Les rites auraient une efficacité que
les dépasse. Le but des rites est souvent de renforcer la cohésion
sociale du groupe ou de la nation. Quand les gaullistes ont défilé
sur les Champs-Elysées en mai 1968 pour manifester leur opposition
aux mouvements gauchistes qui souhaitaient prendre le pouvoir,
ils ont remémoré un rite qu’avait fait en 1945 le Général de Gaulle,
pour marquer symboliquement le retour de paris et de la France
au « monde libre ». Les rites permettent de comprendre
et d’interpréter les sociétés de types communautaires ou contemporaines.
Leurs explications sont-elles exhaustives et prennent-elles en
compte tous les aspects de la vie sociale ? Certains auteurs
s’attachent à donner du rite une explication causale et juste,
est-elle suffisante ? La notion de rite est un moyen de
compréhension non exhaustif du monde social. Le rite ne peut pas tout expliquer. Sans
Les Argonautes du Pacifique occidental, O.
Malinowski s’attache à décrire les rites des sociétés
primitives. Sa démarche s’appuie sur une observation de détail,
contrairement à Durkheim ou à Mauss, Malinowski a vécu plusieurs
années dans les îles Trobriands. Il s’intéresse
en autre aux canots trobriandais et en déduit l’origine
de l’échange social. Son analyse des rituels peut-elle expliquer
les fondements économiques, politiques et sociaux des sociétés ?
Le rite n’est-il pas une sous partie d’un ensemble de pratiques
sociales qui n’ont de rituel que le nom ? V.
Turner dans son livre : Le phénomène rituel, introduit
la notion de « communitas » pour expliquer le
caractère dynamique du processus d’évolution des sociétés. Pour
lui, la société est dans une crise permanente et les rituels permettent
de maintenir, contre vents et marées la cohésion sociale. Pour
lui la vie sociale est un « processus dialectique ».
En se référant à l’ouvrage de Van Gennep, Les rites de passage,
V. Turner insiste sur la notion de deuil. La société est structurée,
hiérarchisée, les places sont occupées mais sont susceptibles
de bouger, d’être remises en cause. L’individu fait l’expérience
« d’être exposé alternativement à la structure et à la
communitas, ainsi qu’à des états différents et à des transitions
de l’un à l’autre ». La société, pour lui, vit un drame
social permanent. La notion de rituel est pour Turner très importante,
il s’en sert pour expliquer le maintien de l’ordre social. Est-elle
suffisante ? Si les rites se structurent pour perdurer, ils
ne peuvent expliquer tout le social. Ils ne sont que l’interprétation
personnelle d’un auteur. Les rituels ne peuvent à eux seuls résoudre
le « drame » social, un processus dialogique peut s’instaurer,
des éléments exogènes peuvent intervenir,… si l’analyse de V.
Turner peut bien comprendre et interpréter une société traditionnelle,
elle est insuffisante pour résoudre la complexité des sociétés
contemporaines. R. Girard, dans son livre :
La violence et le sacré, examine différents rites. La violence
est pour lui à l’origine de l’insatisfaction des hommes, d’où
la nécessité d’un bouc émissaire. Pour lui, le rite a une fonction
bien précise, il sert de catharsis. La violence est-elle
à l’origine d’un besoin humain insatisfait ? Le rite n’est-il
pas entraîné dans un processus qui le dépasse ? Des auteurs contemporains expliquent
des « bribes » de rite. Le sociologue américain E. Goffman
a écrit de nombreux livres et notamment : la mise en scène
de la vie quotidienne, où il s’intéresse à montre le souci des
individus à donner une bonne présentation de soi dans une vie
qui s’apparente souvent à un théâtre. Il s’intéresse aux microrituels
de la vie quotidienne qu’il développe dans son autre livre :
Les rites d’interaction. La thèse de l’auteur est que l’individu
veut faire bonne figure, veut ne pas perdre la face, être respecté
surtout s’il occupe une position sociale élevée. E. Goffman
développe les relations de face-à-face où le souci des deux parties
est justement de ne pas la perdre. Par exemple, si vous tenez
la porte à une personne qui vous suit, vous vous mettez dans une
position de faiblesse », la personne ensuite vous remercie
pour rétablir « l’équilibre ». Goffman développe à merveille
ces microrituels contemporains où chacun essaie de conserver son
statut, son identité dans un monde où les interactions sont fréquentes.
Son explication par les « rites d’interaction » ne concerne
qu’une faible partie des échanges possibles entre les individus.
C’est une analyse psycho sociale qui ne peut en rien nous fournir
des éléments de réponse, les structures, les processus, les institutions
d’une société contemporaine, E. Goffman n’explique pas le changement
social, l’action sociale, la dynamique sociale, sur quoi repose
le consensus social. Son analyse est intéressante mais très précise
et ne témoigne en rien d’une Science des faits sociaux. Le rituel
en tant que pratique codifiée et répétitive n’est qu’un des aspects
de l’échange. La démarche de P. Bourdieu est différente et cet auteur français
essaie de théoriser les « faits sociaux totaux » pour
reprendre une expression de M. Mauss. Dans son livre : Le
sens pratique, il explique les rituels dans les sociétés « traditionnelles ».
Son approche est basée sur le structuralisme de C.
Lévi-Strauss où les structures sont à la fois expliquées
et explicatives. Les rites ont pour lui comme fonction d’instaurer
un monde nouveau. Dans son livre : Ce que parler veut dire,
« Les rites d’institution », P. Bourdieu reprend l’analyse
de Van Gennep sur les « rites de passage » pour s’intéresser
aux deux états successifs, l’avant et l’après et surtout l’entre-deux.
Il écrit notamment : « l’important est la ligne ».
P. Bourdieu enrichit la démarche de Van Gennep en montrant que
lors du passage, l’individu change de statut. Le rite est là pour
« consacrer » le nouveau statut. Le rite légitime le
changement d’état. L’analyse de P. Bourdieu est pertinente et
montre bien l’importance du nouveau statut après le passage d’un
rite mais elle n’explique qu’une petite partie des statuts assignés
dans la société. Le rite n’est qu’une sous-partie d’un échange
organisé. E. Durkheim dans son livre : Les
formes élémentaires de la vie religieuse, donne une définition
des rites, de la religion. Son approche est globalisante et il
arrive à comprendre certaines sociétés primitives. Néanmoins il
ne peut généraliser à toutes les sociétés traditionnelles. Les
rites sont pour lui un
moyen, un outil de compréhension des échanges sociaux de la façon
de communiquer. Les rites ont une finalité qui
lui est chère, comment mieux intégrer les membres au groupe,
le groupe à la société ? le rite est là pour satisfaire ce
souci d’intégration. Beaucoup plus récemment, des auteurs contemporains
s’intéressèrent aux rituels dans la vie sociale, leur approche
est plus spécialisée et leur analyse pour pertinente qu’elle soit,
ne peut comprendre une société complexe, dynamique. Peut-être
suffit-elle à expliquer la genèse des rites sociaux ? Mais
elle ne peut comprendre leur devenir. Le rite et son interpellation
est une sous-partie d’un ensemble complexe. On peut s’interroger
sur les rites profanes et essayer de comprendre leur processus
évolutif dans les sociétés contemporaines. |
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