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INTEGRATION ET CITOYENNETE « Tout
étranger est roi parce qu’il a la plénitude du pouvoir ».
Pierre Joseph Proudhon place
le citoyen au sommet. Dans son ouvrage majeur De la démocratie
en Amérique, Alexis de Tocqueville
écrit : "on y trouve encore des sujets
mais on n’y voit plus de citoyens". Pour lui, il appartient
aux lois du pays de renforcer le sentiment de « destinées »
communes. L’intégration et son processus ont fortement
préocuppé un des pères fondateurs de la sociologie française Emile
Durkheim. En 1893, dans sa thèse : De la
division du travail social, il décrit deux formes de sociétés.
Dans l’une le lien social est à solidarité mécanique, dans
l’autre par le fait d’une forte division du travail, la
solidarité est organique. Dans la première, l’intégration
dépend de la conscience collective, dans la seconde, l’individualisme
prime et l’Etat doit trouver les modalités d’intégration pour
permettre la cohésion sociale. Il s’intéresse, en particulier,
à l’instruction civique qui doit être enseignée par les
instituteurs de la IIIe République. L’intégration
est le processus qui permet de maintenir la cohérence entre
les différents éléments. L’intégration durkheimienne aboutit à
la formation d’un groupe ayant une conscience commune et de mêmes
objectifs. Beaucoup plus récemment A.
Sayad définit l’intégration comme un « aboutissement »
permis par la contribution de facteurs matériels et immatériels.
L’intégration peut se faire au niveau du groupe mais aussi au
niveau macrosocial. Une société intégrée réclame que les
individus qui la composent respectent certaines règles de vie
commune. Ses droits et ses devoirs définissent le citoyen. La
citoyenneté est la qualité du citoyen. Le sujet sera étudié
dans les sociétés occidentales, américaine, anglaise, allemande
et française, dans ne période allant de la fin de la Seconde Guerre
Mondiale à nos jours. Quels sont les effets
de la citoyenneté sur l’intégration ? L’intégration
« construit-elle » des citoyens ? Le processus
d’intégration est dynamique et modifie le comportement de l’individu.
L’individu fait corps avec le groupe et sa nation. Comme
le remarquait A. de Tocqueville, qu’est-ce qui différencie
le sujet du citoyen ? Nous cernerons d’abord
les effets de l’intégration sur la citoyenneté. Le processus d’intégration
est diachronique, il modifie le comportement et la conscience
des individus. Nous verrons les principaux mécanismes qui permettent
l’intégration pour aboutir à la définition d’une « conscience »
commune. Nous nous attacherons ensuite aux effets de la citoyenneté
sur l’intégration. Les droits et les devoirs définissent le citoyen
stricto sursu, il sera aussi intéressant d’avoir une vision
latosensu et de réfléchir, par exemple, à une citoyenneté
sociale dans un monde convulsé. Le
processus intégratif aboutit à la citoyenneté. Les mécanismes
qui permettent l’intégration. Dans un article de
la revue Pouvoirs de 1987, « Immigrations et traditions
politiques », G. Noiriel
nous décrit une commune textile du nord de la France, « Halluin
la rouge ». Une partie de la classe ouvrière locale est constituée
de Belges et de Flamands. Au XIXe siècle les migrants
viennent du nord de l’Europe et surtout de Belgique. Au début
du XX e siècle, les Italiens émigrent et s’installent en
France. Dans les années soixante et soixante-dix, les vagues migratoires
viennent de l’Espagne et du Portugal. Un Français
sur cinq possède des origines étrangères, ce qui correspond à
un chiffre situé entre dix et douze millions de Français. Cette
population a dû se fondre dans le « creuset français ». L’intégration désigne
le processus qui permet de transformer l’individu étranger en
un membre de la communauté nationale. Avant ce terme, deux
autres mots ont essayé de traduire cette « métamorphe ».
Le mot assimilation a été abandonné à cause de son caractère trop
radical et colonial. L’insertion, plus couramment utilisée dans
le monde du travail, comme le relève A. Sayad, était « l’illusion
d’une opération technique ». L’intégration s’est imposée
pour désigner ce processus. Comment intégrer les étrangers dans
la collectivité nationale ? Le développement économique
des pays occidentaux et de la France en particulier, fut exceptionnel
après la Seconde Guerre Mondiale. Ce que J.
Fourastié nomme « Les Trente glorieuses »
nécessite une main-d’œuvre importante et peu qualifiée. L’immigration
combla ce manque jusqu’au premier choc pétrolier des années soixante-dix.
Comme le remarque D. Lapeyronnie
dans un article des Temps modernes, « La France et
la Grande-Bretagne face à leurs minorités immigrées », les
deux pays sont passé de « l’immigration à l’intégration »
en 1962 en Grande Bretagne et en 1974 en France. D.
Schnapper
dans son livre : L'Europe des immigrés, en 1992, écrit
« l’immigration des travailleurs provisoires est devenue
une immigration de peuplement ». Avec la mesure du regroupement
familial, les immigrés ont souhaité s’installer durablement avec
leurs femmes et enfants. L’école de la République a joué un rôle
essentiel dans l’acculturation des migrants.
P. Milza dans la revue L’Histoire, « Les
mécanismes de l’intégration », remarque que l’ »assimilation »
s’est faite surtout avec la seconde génération. La formation scolaire
a permis à de nombreuses personnes de progresser sur le plan professionnel.
La mobilité sociale, chère aux sociologues, a fonctionné.
L’intégration s’est faite aussi par le biais de l’engagement syndical
et politique. La forte prégnance du parti communiste a permis
de créer une sociabilité au sein de la classe ouvrière
largement représentative des immigrés. Les communautés religieuses
ont joué un rôle non négligeable, de même que, les organisations
associant Français et étrangers. Le travail et les revenus gagnés
ont permis l’installation et le maintien d’une grande partie de
la population des migrants. Pour les enfants des immigrés, nés
en France, le service militaire a été aussi un facteur d’intégration
sociale. Comme le remarque P. Milza,
l’intégration s’est faite en trois temps, d’abord une « adaptation
à l’environnement », ensuite « intégration progressive »,
à l’échelle d’au moins deux générations et finalement la « fusion »
avec le corps social. Le processus intégratif est souvent long,
parfois la conjoncture politique ne le facilite pas, mais à terme,
on remarque la « fusion » des Immigrés et des Français
de souche. Est-il le même dans tous les pays et en particulier
aux Etats-Unis ? Le
modèle américain s’appuie sur le travail. C’était sur l’île
mythique d’Ellis Island de la baie de New
York que les migrants découvraient le Nouveau Monde. Elia
Kazan dans son film de 1963, America, America,
nous montre à merveille le fol espoir suscité par le rêve américain.
De 1820 à 1920, soixante-dix millions de personnes ont fui l’Europe
à la recherche d’un avenir plus radieux. Les Etats-Unis ont accueilli
trente-quatre millions de migrants pendant cette période. L’Amérique
s’est construite sur des successions migratoires. A. Carnegie,
émigrant écossais, est l’image symbolique du parfait « self-made
man ». Le « melting pot » américain
est le « creuset français ». C’est seulement à partir
des années vingt que les Etats-Unis instaurent des quotas pour
limiter l’immigration. L’Amérique est-elle
une juxtaposition de communautés comme en témoignent certains
quartiers (Little Italy à New York) ? Comment intègre-t-elle
ses immigrants ? Les Italiens quittent leurs pays pour s’installer
aux Etats-Unis entre 1880 et 1920. Beaucoup d’entre eux reviendront
en Europe. Ceux qui restent aux Etats-Unis acceptent des travaux
peu qualifiés. Dans un premier temps, le souci de maintenir la
communauté est très fort. Le rêve américain se traduit dans des
emplois mal payés. Certains s’imaginent arriver au sommet de la
hiérarchie sociale. Le romancier de l’époque, H. Alger, mythifie
l’ascension foudroyante de l’adolescent qui commence sa vie en
cirant des chaussures, où en
vendant des journaux dans les rues de New York et
arrive par la suite à se constituer un empire industriel et financier. L’intégration se fait
par le travail. Chaque communauté de migrants se spécialise dans
le bâtiment ou le commerce de détail par exemple. La préoccupation
principale est de survivre. Le psycho-sociologue
A. Maslow a étudié la hiérarchie des besoins, les besoins
d’ordre supérieur comme le sentiment d’appartenance nationale
n’apparaissent que lorsque les besoins d’ordre inférieur (se loger,
se nourrir), sont satisfaits. Même le fait d’apprendre la langue
du pays n’apparaît pas comme prioritaire. Ce n’est que par la
suite qu’ils demandent leur nationalisation, l’intégration devient
plus civique et politique. Ils veulent participer à la vie de
la cité et soutiennent un des deux partis. Comme le résume
A. Kaspi dans la revue L’Histoire, « Le
cas américain : la guerre des peuples », l’intégration
résulte d’une « dynamique communautaire, et non d’initiative
individuelle ». Cette analyse ne rejoint
pas la vision durkheinnienne d’un fort individualisme dans
les sociétés industrielles. Que l’intégration se fasse individuellement
où par la médiation de la communauté, quels peuvent être les droits
et les devoirs d’un individu intégré ? Le ministère des Affaires
sociales, de la Santé et de la Ville édite en mai 1994, trois
prospectus sur la façon « d’acquérir » ou de « choisir »
la nationalité française. L’acquisition peut se faire par naturalisation
ou par déclaration. Il est bien précisé que l’acquisition de la
nationalité a « différentes conséquences ». L’individu
bénéficie, si acquisition, de droits « attachés à la qualité
de Français », et notamment les droits suivants : droit
au vote, droit d’être éligible, droit d’accès à la fonction publique.
« En contrepartie », il doit « contribuer au fonctionnement
des institutions nationales ». Si le terme de citoyen n’apparaît
jamais, il est sous entendu et citoyenneté et nationalité sont
synonymes. J. Leca dans un chapitre « Nationalité et citoyenneté dans l’Europe ? immigration », du livre sous la direction de J. Costa-Lascoux et P. Weil, Logiques d’Etats et immigrations, s’interroge sur la relation entre nationalité et citoyenneté. Il constate dans un premier temps que des pays peuvent reconnaître une citoyenneté à des non nationaux et inversement une nationalité à des non citoyens, c’est notamment le cas des Puissances coloniales. Pour J. Leca, la citoyenneté n’est pas réductible à l’idée de nationalité, elle plus large et confère des droits qui permettent l’intégration des étrangers. Un étranger peut avoir des droits sociaux, civils et parapolitiques. Il peut être membre d’un parti, créer une association, même sans autorisation préalable depuis la loi de 1981. Par exemple, les nationaux algériens peuvent « ouvrir des débits de boisson en France ». Même si citoyenneté et nationalité se « superposent », la première est plus abstraite, le sentiment affectif d’appartenance à une communauté n’apparaît pas. J. Costa-Lascous en conclusion, réfléchit à l’idée d’ "une Europe de citoyens" qui transcenderait le lien quasi-charnel et exclusif d’un individu à son pays. Le point de vue de D. Schnapper est plus positif, notamment dans son dernier livre : La Communauté des citoyens. En effet, pour elle, l’intégration à la française est une réussite. Si G. Noiriel est plus tempéré, et reconnaît une « tyrannie du national », il constate que l’ "assimilation " française a bien « fonctionné ». Une citoyenneté qui confère des droits et des devoirs plus larges, permet d’intégrer des étrangers et ceux qui désirent acquérir la nationalité française. La citoyenneté se résume-t-elle au plan juridique, n’existe-t-il pas plusieurs citoyennetés ? J.-P. Chèvenement dans un discours repris par la revue : Hommes et Migrations, écrit : « L’Ecole de la République est ce creuset où se fondent les valeurs et la destinée commune ». Cet homme politique montre bien que l’école est un droit pour tous, Français et étrangers et aussi un des principaux moyens d’intégration. La citoyenneté qui dépasse le concept de nationalité, notamment sur le plan social donne des droits et des devoirs à tous et exige en retour certains devoirs. Dans la revue Les Temps Modernes de 1991, « migration citoyenneté et Etat-nation », W. Brutker décrit les avantages de l’appartenance à un Etat. L’appartenance devrait « s’exprimer dans un bien-être communautaire ». La notion de bien-être est subjective et de faibles revenus peuvent parfois suffire à certains pour vivre. Les systèmes européens de protection sociale, comme le souligne S. Milano dans Le Revenu minimum garanti dans la CEE, combinent trois sources de droits : le travail qui permet à chaque membre de la cité de vivre dignement. Le revenu minimum d’existence (Revenu minimum d’insertion en France ou allocation de subsistance en Allemagne) permet de garantir, même à la marge, à des bénéficiaires, des moyens de subsistance. L’intégration peut continuer le processus et même si la « fracture sociale » est toujours possible, le pire est évité. Le RMI (Revenu minimum d’insertion) est un droit à disposer d’un minimum de ressources pour toute personne en état de besoin. Le RMI donne droit à la couverture sociale et à l’allocation logement. Mais c’est aussi un droit conditionnel, c’est-à-dire, qu’il implique d’accepter une activité d’insertion sociale ou professionnelle. Le bénéficiaire s’engage avec l’administration de définir un projet d’insertion. Pour en bénéficier, les étrangers doivent être titulaires d’une carte de résidence d’au moins trois ans. P.A Taguieff et P. Weil dans un article : « Immigration fait national et citoyenneté », réfléchissent à une citoyenneté « dénationalisée ». La citoyenneté implique des droits et des devoirs à tous ceux qui vivent sur le territoire même si elle est restrictive en ce qui concerne le droit de vote et d’éligibilité. La citoyenneté par con caractère coercitif entraîne l’intégration sociale. Intégration
et citoyenneté sont intimement liés. La notion de citoyenneté
se rattache à la conception d’un Etat-nation et peut donc varier
suivant les pays même si une citoyenneté européenne est envisageable.
L’intégration durkheinienne devient de plus en plus indispensable
dans un monde où domine l’individualisme. Les immigrés sont des
individus socialement désorganisés et une citoyenneté, même partielle,
leur permet l’intégration dans la société choisie. D. Lapeyronnie
dans son livre : L’individu et les minorités, propose
quatre politiques d’intégration : « l’égalité des chances,
la gestion communautaire, l’antiracisme et le droit commun ».
Pour lui, le problème majeur est que les immigrés n’accèdent plus
« à la citoyenneté » et à l’individualité ».
On peut s’interroger sur une gestion supra-nationale de l’intégration
des minorités et redéfinir ainsi des droits et des devoirs d’une
citoyenneté nouvelle. |
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