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PEUT-ON ET COMMENT DEFINIR ET EVALUER LA QUALIFICATION ? Dans l’hebdomadaire L’Express, une
annonce d’une entreprise de services informatiques précise rechercher :
« Un négociateur de 30/35 ans, formation école de commerce,
confirmé, possédant au moins trois années d’expérience, sachant
convaincre… d’un fort tempérament… un poste nécessitant un engagement
personnel pour mener à bien le développement de votre région… ».
Cet exemple est révélateur d’une certaine offre d’emplois de la
part des entreprises où se mêlent formation de base, expérience
professionnelle, qualités personnelles et nature du poste. Les
pouvoirs publics essaient de réguler le monde du travail en adaptant
les structures aux demandes, comme ils l’ont fait après la Seconde
guerre mondiale en facilitant les migrations internationales.
En effet déjà Taylor qui voulait
« casser » le diktat des hommes de métier et adapter
une main-d’œuvre inculte au procès de travail, s’intéressa à la
rationalisation du travail. Sa méthode, diffusée dans son ouvrage :
Principes de la direction scientifique du travail (1911)
fut basée sur l’analyse d’un travail déréalisé, déshumanisé, sans
vocation où il fallait adapter le facteur travail au facteur
capital. Les immigrés qui constituaient une grande
partie de la main d’œuvre, étaient non qualifiés. L’organisation
du travail devait répondre aux exigences de production
en fonction d’ouvriers sans formation. L’adaptation de
la force de travail à l’outil de production pose le problème
de la qualification des travailleurs et de leur poste de
travail. Le terme qualification est polysémique. Dans une première
acception, on peut le rattacher au monde professionnel
et le définir par la formation et les aptitudes des travailleurs
qualifiés. Mais comme le remarque P.
Tripier dans : Du travail à l’emploi, paradigmes,
idéologies et interactions (1991) en prenant l’exemple d’une
petite annonce, celle-ci donne d’abord les qualités requises
du candidat pour indiquer ensuite le profil du poste. La qualification
subsumant le « capital humain » et les caractéristiques
du poste de travail. La définition de G.
Friedmann et J.-D. Reynaud complète cette description
en lui donnant une dimension
sociétale. L’exigence technique fait correspondre
les caractéristiques du poste de travail. Le compromis
social intègre la qualification pour reprendre les termes
de Pierre Naville, dans un
« rapport social », compromis social sous-entend négociations,
rapport de force, pouvoir. Pour analyser la
qualification, nous nous interrogerons sur tous les sous-entendus
de la qualification. Est-elle propre au travailleur ? au
poste de travail ? n’est-elle pas simplement un rapport de
pouvoir, un « rapport social » évolutif ?
Pour répondre à ces questions, nous analyserons
la qualification comme exigence technique pour nous intéresser
ensuite à l’aspect de la formation et enfin montrer les interdépendances
entre les deux notions, résumées par la notion de compétence. La définition de la qualification dans la
sociologie du travail de l’après-guerre a toujours été influencée
par l’importance du machinisme. Les systèmes techniques
nouveaux ont imposé de nouvelles qualifications. De nos jours,
même si on constate que 10 000 jeunes sortent sans qualification
chaque année du système éducatif français, la nécessité d’une
qualification est bien présente. Le niveau V de qualification
qui correspond au CAP (certificat d’aptitude professionnelle)
et au BEP (brevet d’études professionnelles) rassemble
un tiers des sorties du système éducatif même si l’accès au baccalauréat
est de plus en plus fréquent. Dans la population active occupée,
les diplômés de niveau V (CAP et BEP) sont les plus nombreux.
Les grilles de classement montrent l’importance de la prise
en compte des formations dans les qualifications. La qualification peut être directement liée
à une machine. Dans ce cas, elle « impose » de
fait, la nécessité d’une formation adaptée aux caractéristiques
techniques de la machine. En France, par exemple, des conducteurs
de haut fourneau, des grutiers,… La nomination d’une personne
à un emploi fait référence à une machine. De plus une appellation
peut être fonction du produit fabriqué comme ouvrier en porcelaine
ou ouvrier en mobilier. La qualification peut être fonction d’une
machine ou d’un dispositif technique, elle peut aussi faire référence
à un domaine de compétences (mobilier, porcelaine, céramique,…).
Dans le domaine de la mécanique, on retrouve ce type de
qualification comme par exemple : le tourneur est celui qui
travaille sur un tour, le fraiseur sur une fraiseuse, aussi appelé
fraiseur-outilleur. Le progrès technique en particulier,
conduit à changer et à faire évoluer la terminologie. L’introduction
de machines complexes change le rapport entre l’ouvrier qualifié
et la machine. Les machines-outils à commande numérique
ou MOCN imposent, elles aussi, leurs qualifications. Le travailleur
sur ces machines est qualifié ouvrier sur MOCN. Comme le souligne
Francis Kramarz dans la Revue
française de sociologie, en 1991, « Déclarer sa profession » :
« La prégnance de ces machines dans la définition des tâches…
est d’autant plus forte que la technique mise en œuvre et la machine
utilisée sont largement répandues ». C’est le cas notamment
pour certaines machines qui conduisent à ces appellations :
conducteur de Fenwick, opérateur sur IBM 3090, Bull
DPS, réparateur télécopieur SAGEM, opératrice sur traitement
de texte Windows… On constate, en particulier, dans le domaine
des hautes technologies, informatique, télématique,
internet, (le web 2.0) en ce qui concerne la recherche
d’emploi, la volonté d’associer à une personne le nom d’un produit,
d’une marque (Words 4, Mackintosh, Sun,
Unix, éditeurs de pages web,…). Cette caractéristique,
qui était le propre de la mécanique dans les années cinquante
et soixante, se retrouve aujourd’hui avec les technologies de
pointe, on associe l’individu à un produit ou une marque. Dans ce cas, la qualification se définit
essentiellement par rapport aux systèmes techniques. Les nouvelles
technologies, en particulier, imposent leurs qualifications. Le
travailleur doit s’adapter, se former, évoluer en fonction de
la technologie. On constate une forte prégnance de la technique
sur l’humain. Les qualifications s’évaluent par rapport aux caractéristiques
techniques des systèmes. On demande, par exemple, une opératrice
de saisie sur IBM. On constate que l’informatique de nos
jours, comme la mécanique juste après-guerre, marquent profondément
les qualifications. La formation devient-elle aussi une nécessité ? G. Friedmann
analyse, en particulier, l’évolution de la qualification. Pour
lui, la qualification est au début marquée par le contact direct
avec la matière, elle s’inscrit dans la tradition d’un travail
proche de l’artisanat. Elle évolue par la suite quand le
travail change de nature, la machine fait son introduction, la
qualification « s’éloigne » de la matière, elle devient
« mécanicienne ». Cette analyse sera reprise par
A. Touraine dans son approche du travail en termes
de phases. La machine complexe s’intercale de plus en plus entre
le travailleur et l’objet fabriqué. Dans son livre : Où
va le travail humain ?, Friedmann parle de « qualification
mécanicienne ». Et c’est dans Le travail en miettes,
publié en 1956, que son analyse prend une nouvelle dimension.
La machine intervient de plus en plus dans le procès du
travail et découpe désormais les tâches des ouvriers en particulier,
en unités élémentaires. Comme le souligne Mireille
Dadoy dans la revue : Sociologie du travail,
« La notion de qualification chez Georges Friedmann »
en 1987 : « La parcellisation des tâches entraîne l’émiettement
des savoirs ». Cependant l’analyse friedmannienne retient
l’importance de la formation dans l’évaluation des
qualifications. L’avant-propos du Travail en miettes détaille
cette idée : « la durée et le contenu de la
formation, ainsi que le contenu des tâches sont donc les trois
critères utilisés pour apprécier la qualification ».
Cela entraîne une vision bipolaire des qualifications où d’un
côté l’ouvrier spécialisé qui enchaîne des tâches élémentaires
n’a pas ou peu de qualifications et à l’extrême les ingénieurs,
cadres, ouvriers très qualifiés rassemblent toues
les qualifications nécessaires pour l’exécution d’un travail. Les nouvelles technologies en général, et
l’informatique en particulier, nous montrent les nécessités de
formation et d’apprentissage dans le processus de qualification.
La qualification devient nécessaire, même si certains auteurs
ont pu croire que les machines automatisées pouvaient se passer
d’êtres humains. Cette augmentation des qualifications s’inscrit
dans l’évolution de la société contemporaine qui s’adapte au progrès
technique. On constate, en effet, un remplacement des travaux
simples par des travaux complexes. Le travail sur ordinateur,
en particulier, demande, sauf pour les opérateurs de saisie, une
formation adaptée. L’entreprise informationnelle qui se définit
par l’importance de son informatisation (bureautique, messagerie,
internet, web 2.0,…), utilise de plus en plus un personnel
qualifié. La CAO ou conception assistée par ordinateur,
demande une solide formation pour être apte à travailler avec
elle et aussi une certaine polyvalence. En effet, les chefs d’entreprise
ne peuvent pas changer de personnel à chaque évolution du matériel.
On constate dans ce cas, l’importance de la formation pour définir
et évaluer la qualification. On le remarque aussi fortement dans
ce que l’on appelle les systèmes de production flexibles
où l’installation technique évolue en fonction de la fabrication
de nouveaux produits. Le travailleur n’est plus face à sa machine
mais doit commander un système technique, l’adapter en fonction
de la production. Les systèmes flexibles peuvent répondre à des
demandes de produits variés. La qualification, pour ce genre de
travail est souvent élevée (bac + 2 à 5). Elle s’évalue en fonction
de la capacité de l’individu à s’adapter aux techniques modernes. L’historique de
l’analyse des qualifications montre la pluralité des approches
pour déterminer la notion. C’est en particulier, Claude
Dubar, dans un article de la revue : Sociologie
du travail « La qualification à travers les journées
de Nantes » en 1987, qui détaille les présentations de ce
colloque. Il relève sur ce point cinq approches de la qualification.
Elle peut être analysée à partir du poste de travail, ou
en fonction des qualités personnelles des travailleurs,
en fonction des « carrières » par rapport à la confrontation
entre valeur d’usage et valeur d’échange, ou en
fonction du rapport social. La définition de la qualification
est basée sur le type d’étude et d’approche de la notion. Elle
met en avant les rapports de pouvoir entre patronat et syndicats
et le rôle de l’Etat. Comme le notent Jobert et Rozenblatt :
« Le patronat classe les postes et les syndicats veulent
classer les hommes ». La définition ou l’évaluation de la
qualification est fonction d’un point de vue en relation avec
sa place dans la société. Elle est tributaire aussi de l’évolution
du progrès technique en général, de la technologie en particulier.
Les changements techniques influencent les qualifications et les
modes de gestion de la main-d’œuvre. Certains auteurs peuvent
parler à ce sujet « d’entreprise du troisième type où le
personnel évolue au même rythme que l’installation de nouvelles
machines. On parle à ce propos de « mobilisation de l’intelligence ».
La qualification n’est pas réellement déterminée à un moment donné
mais évolue avec l’expérience, l’apprentissage (learning by
doing), la mise en place de nouveaux systèmes techniques.
Les analyse de G. Friedmann,
en particulier, sur la notion de qualification, sont liées à des
systèmes techniques relativement stables. Il écrit notamment dans :
Problèmes humains du machinisme industriel (1944) :
« L’ouvrier qualifié a sa machine, ses outils ». De
nos jours, le travail sur systèmes complexes fait évoluer les
qualifications. La notion de compétences
participe à une définition évolutive de la qualification. Dominique Monjardet
dans un article de la revue : Sociologie du
travail, « Compétence, et qualification comme principe
d’analyse de l’action policière », montre les relations entre
compétence et qualification. La formation est souvent
nécessaire pour acquérir une compétence, notamment dans
la police, mais cela reste insuffisant. Les « qualités
individuelles et le terrain » sont indispensables pour acquérir
une compétence policière. Dominique Monjardet remarque parfois
l’opposition entre les jeunes policiers qui mettent l’accent plus
sur la formation et la qualification et les autodidactes, en particulier,
qui s’appuient sur la notion de compétence qui englobe des savoirs
non écrits, non formalisés. La « compétence empirique »
pourrait contredire la qualification technique. Cet exemple nous
montre la difficulté, concrètement, de définir et d’évaluer la
qualification et notamment en fonction de l’activité professionnelle
des individus. Dans un autre registre, Lise Demailly, s’intéresse à la « qualification ou la
compétence professionnelle des enseignants ». S’intéresser
aux deux notions permet en les comparant, de mieux comprendre
la qualification. Dans le domaine éducatif, la qualification
se rapproche des « savoirs académiques et didactiques ».
En revanche, la compétence est « le plus » qui permet
de mettre en pratique et avec succès ses savoirs académiques.
Lise Demailly relève quelques phrases de chefs d’établissement
qui écrivent dans des rapports d’évaluation « jeune professeur
compétent et dévoué ». La qualification dans ce domaine est
requise mais insuffisante pour apprécier le travail fourni. La
notion de compétence englobe le savoir, le savoir-faire, l’expérience
et permet, souvent par facilité de langage, de définir un individu.
L’adoption de ce terme nous montre les insuffisances de la notion
de qualification. Celle-ci ne peut être évaluée qu’à partir d’une
formation ou d’un concours pour les professeur, des connaissances
formelles (codes, procédures, règlements) pour les policiers.
La qualification nous montre ici ses limites, au moins dans les
deux cas précités. Elle n’est pas suffisante pour apprécier le
travail des individus, il nous faut lui adjoindre la notion de
compétence. La qualification serait d’abord le propre
de l’ouvrier de métier. Il possède un savoir, un savoir-faire,
une expérience professionnelle et peut ainsi garder ses distances
vis-à-vis de son employeur. La qualification appartient à l’individu.
L’introduction en machinisme des machines « simples »
aux systèmes complexes comme les machines à commande numérique
et les ateliers flexibles, demande et décrit les qualifications
nécessaires du poste de travail. On passe comme le remarque A.
Touraine de la qualification de l’homme à la qualification
du poste de travail. Ce sont deux moyens de définir la notion
de qualification. Cependant la qualification serait plus justement
un « rapport social », mixant qualités personnelles,
formation, exigences techniques,… le tout restant évolutif, donc
difficile à évaluer et à définir. Le nouveau ROME
(Répertoire Opérationnel des métiers et des Emplois) de l’ANPE,
dans son tome IV, décrit les « aires de mobilités professionnelles ».
En effet, la situation sur le marché de l’emploi devenant plus
tendue, il paraît judicieux d’adapter la main-d’œuvre aux nouvelles
et évolutives formes d’emploi. Cet exemple nous montre que la
qualification ne peut appartenir qu’à une seule partie mais est
plutôt le résultat d’un ensemble de besoins. Elle est évolutive
donc difficilement définissable sur longue période, plus facilement
à des moments bien déterminés. Son évaluation reste souvent subjective
et montre par là, la nécessité de la considérer comme un « rapport
social » donc un rapport de forces. |
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