QUALIFICATIONS PROFESSIONNELLES
EXPERIENCE COMPETENCES Solidarités mécanique/organique : transformation,
division du travail conscience collective, cohésion sociale, renforcement /affaiblissement des rapports sociaux.
groupe social, anomie, pauvreté, marginalité sociale, déviance, rôle des
institutions (primaires, intermédiaires : familles, syndicats) |
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Les qualifications, exigences techniques ou compromis social ? 600
000 jeunes environ, actuellement inscrits à l’Agence nationale pour
l’emploi. Parmi cet ensemble une grande majorité de sans diplôme, sans
expérience professionnelle, sans qualification, qui acceptent
souvent un travail sans rapport avec leurs aspirations. Face à cette
offre de travail sur le marché de l’emploi, une demande de travail venant
des entreprises, de plus en plus pointue. Dans l’hebdomadaire L’Express
du 15 janvier 2006, une annonce d’une entreprise de services informatiques
précise rechercher : « Un négociateur de 30/35 ans, formation
école de commerce, confirmé, possédant au moins trois années d’expérience,
sachant convaincre… d’un fort tempérament… un poste nécessitant un engagement
personnel pour mener à bien le développement de notre région… ».
Cet exemple est révélateur d’une certaine offre d’emplois de la part
des entreprises où se mêlent formation de base, expérience
professionnelle, qualités personnels et nature du poste. Les pouvoirs
publics essaient de réguler le monde du travail en adaptant les structures
aux demandes, comme ils l’ont fait après la Seconde guerre mondiale
en facilitant les migrations internationales. En effet, la France
connaissait une période de reconstruction et de croissance
et avait besoin d’une main-d’œuvre abondante, non qualifiée, pour faire
face à la consommation de masse des Français. Les immigrés fournissaient
cette force de travail et permettaient comme le faisait remarquer le
Président Pompidou, d’apaiser les revendications salariales. Déjà Taylor
qui voulait « casser » le diktat des hommes de métier et adapter
une main-d’œuvre inculte au procès du travail, s’intéressa à
la rationalisation du travail. Sa méthode, diffusée dans son
ouvrage : Principes de la direction scientifique du travail
(1911) fut basée sur l’analyse d’un travail déréalisé, déshumanisé, sans vocation où il fallait adapter le facteur travail
au facteur capital. Les immigrés qui constituaient une
grande partie de la main-d’œuvre, étaient qualifiés. L’organisation
du travail devait répondre aux exigences de production en fonction
d’ouvriers sans formation. L’adaptation de la force de travail à l’outil
de production, pose le problème de la qualification des travailleurs
et de leur poste de travail. Le terme de qualification
est polysémique. Dans une première acception, on peut le rattacher
au monde professionnel et le définir par : la formation et les
aptitudes du travailleur qualifié. Mais comme le fait remarquer Tripier dans : Du travail
à l’emploi, paradigmes, idéologies et interactions (1991) en prenant
l’exemple d’une petite annonce ; celle-ci donne d’abord les qualités
requises du candidat pour indiquer ensuite le profil du poste. La qualification
subissant le « capital humain » et les caractéristiques
du poste de travail. La définition de Friedmann et J.D.
Reynaud complète cette description en lui donnant une dimension
sociétale. L’exigence technique fait correspondre les caractéristiques
du poste de travail. Le compromis social intègre la qualification, pour
reprendre les termes de Pierre Naville,
dans un « rapport social » ;
compromis social sous-entend négociations, rapport de force,
pouvoir. Pour analyser la
qualification, nous nous intéresserons au cas des pays industrialisés
dans une période couvrant la deuxième moitié du XXe siècle. Nous nous
interrogerons sur tous les sous-entendus de la qualification. Est-elle
propre au travailleur ? Au poste de travail ? N’est-elle pas
simplement un rapport de pouvoir, un « support social » évolutif ? Pour répondre à
ces questions nous analyserons la qualification comme exigence technique,
pour nous intéresser ensuite au compromis social, et enfin découvrir
les interdépendances entre les deux notions. La notion de qualification
est polysémique, elle est aussi évolutive. A des dates différentes,
en fonction de l’outil de production, les définitions de la qualification
furent modifiées. Des sociologues ont réfléchi à cette notion. Cette prépondérance
de la technique sur l’aspect humain s’inscrit dans la genèse de la division
du travail. En effet, comme le souligne Pierre
Naville dans le chapitre : « l’emploi, le métier,
la profession », du Traité de sociologie en 1961, dès
A.Smith, l’homme s’est adapté aux exigences techniques. Dans
la manufacture smithienne, l’ouvrier répète indéfiniment des gestes
simples pour accroître la production. L’introduction de la machine « casse »
le travail parcellaire. P Naville écrit à ce propos : « Les
fonctions intégrées ne s’accommodent plus de la discontinuité des tâches »,
il y a « communication ininterrompue entre toutes les phases
du travail… ». P. Naville décrit l’évolution
du procès de production du « métier artisanal complet » aux
systèmes automatiques. Dans les opérations « isolées ou groupées
exécutées par la machine conduite par l’ouvrier » et « en
continu exécutées par un système intégré », c’est la machine qui
« impose ses règles » à l’ouvrier. Ce sont les exigences techniques
qui déterminent la qualification. Comme le souligne P. Naville, l’automatisme
des nouvelles machines abaisse le niveau des qualifications. Il y a
risque de déqualification. Par ailleurs, l’analyse
que développe Jean-Daniel Reynaud dans
la revue Sociologie du Travail (1987), « Qualification
et marché du travail », va dans le même sens. Pour lui la « mécanisation »
transforme le travail et donc la qualification ouvrière. Il écrit notamment :
« la véritable qualification est celle du poste : véritable,
parce qu’il commande… la qualification comme capital qu’un homme détient…
n’a guère de place ». J.D Reynaud par les exemples qu’il choisit,
montre que la qualification se rapporte au poste de travail et même
à une « succession de postes, à une trajectoire professionnelle ».
Ceci peut paraître paradoxal dans la mesure où c’est le travailleur
qualifié qui occupera ces différents postes. Donc il faut différencier
à ce niveau, le niveau de formation initiale. Les ouvriers occuperaient
des postes dont on définirait la qualification, les cadres par contre,
auraient une qualification indépendante du poste et évolutive. J-D Reynaud définit
la qualification comme un « ensemble de règles » qui permet
d’obtenir une « régulation conjointe » entre les parties (employeurs,
salariés, pouvoirs publics). La qualification est pour lui une « régulation
des marchés internes du travail liée à un type d’organisation de la
production et produite par le système de relations professionnelles ». L’évolution des techniques
et du procès de production change les besoins en matière de qualification.
Elle apparaît plus comme un compromis social bien qu’on puisse constater
des différences internationales. C’est Alain
Touraine dans son livre : L’évolution du travail
ouvrier aux usines Renault qui décrit le processus d’évolution du
travail en fonction de l’utilisation des machines. Par son introduction
dans le procès de production, la machine ou pour reprendre les
termes d’Alain Touraine, le « système technique », modifie
le rapport qui s’instaure entre qualification du travailleur, exigences
du poste de travail et relations hiérarchiques. En effet, dans ce que
Touraine appelle la première phase ou « phase A » ou « ancien
système », l’ouvrier est autonome. La qualification est de « son
côté », elle lui appartient en propre. L’ouvrier de métier par
son savoir, et surtout savoir-faire garde une certaine liberté vis-à-vis
du contremaître. Comme sous l’Ancien Régime, dans le système des Jurandes,
le corps de métier disposait d’une grande autonomie. L’ouvrier est jugé
sur le résultat de son travail non sur la manière de se comporter ou
d’entretenir des relations dans l’entreprise. La qualification dans
ce cas-là est incorporée, intériorisée, elle ne peut être
l’objet de négociations ou de compromis. Mais c’est le passage
à la « phase B » ou « système technique » qui modifie
les rapports sociaux entre les acteurs de l’entreprise. Comme le dit
A. Touraine : « La technique commande le métier ». L’ouvrier
n’est plus autonome, il devient de facto dépendant de l’appareil technique
de production. Le travail peut s’organiser en fonction et autour du
« système technique ». Mais plus encore, la « phase C »
ou « système de l’automatisme de fabrication », accroît cette
dépendance. Dans cette phase, l’ouvrier n’est plus en contact direct
avec l’outil de production, il ne reste’ qu’à la périphérie pour surveiller,
contrôler le déroulement de la fabrication. L’ouvrier s’intègre
dans un réseau de communication. Comme l’écrit Touraine, ce sont « certaines
formes de sa personnalité », et non des connaissances précises
qui orientent son action. Dans les phases « B » et « C »,
la qualification, par l’introduction de la machine devient l’objet de
négociations, d’un « compromis social ». L’ouvrier perd son
autonomie, le chef d’entreprise gagne dans la maîtrise de l’organisation
du travail, l’un et l’autre deviennent dépendants. La qualification
n’appartient plus en propre au travailleur, elle fait l’objet de discussions,
d’un compromis social. Par ailleurs et de
manière plus flagrante, c’est en Allemagne, pays où l’apprentissage
occupe une place importante, que la qualification apparaît comme un
compromis social. Dans leur livre :
Politique d’éducation et organisation industrielle en France et en Allemagne
(1982), trois auteurs : Marc Maurice,
François Sellier et Jean-Jacques Silvestre décrivent le « rapport
salarial » dans chacune des deux sociétés. Ce rapport est la combinaison
de trois autres rapports : « éducatif », « organisationnel »
et « industriel ». Les auteurs montrent la forte prégnance
de l’apprentissage et de la formation professionnelle en Allemagne.
Cette préparation aux besoins de l’industrie, confère aux travailleurs
un pouvoir de négociation, d’intervention dans la marche de l’entreprise.
La qualification n’appartient pas de manière exclusive aux travailleurs
ou au poste de travail, elle est l’objet d’un dialogue, d’une entente
entre les partie, elle est « cogérée » entre syndicats
et direction. La « démarche » industrielle de l’Allemagne
favorise le compromis social. A la différence de la France où l’enseignement
moins professionnalisé développe le « quant-à-soi », l’Allemagne
apparaît comme un pays de cogestion, donc de compromis. Le changement par l’introduction
du machinisme impose le compromis social entre travailleurs et
direction. Il n’y a plus un ouvrier autonome et « distant »
qui possède un savoir-faire d’une part, et d’autre part des exigences
liées au poste de travail mais une nécessité de réunion, de compromis.
C’est en Allemagne, du fait de son système éducatif que cela apparaît
le mieux. Pierre Naville définit
la qualification comme un « rapport social ». les relations
entre qualification des travailleurs et exigences du poste de travail
montrent la complexité de la notion. Même si Taylor dans :
Principles of Scientific Management (1911) prévoyait, non plus un
antagonisme entre classes, mais convergence des intérêts entre les ouvriers
et leur patron, l’organisation « scientifique » du travail
reste perçue comme un moyen d’appropriation du savoir-faire ouvrier.
La décomposition des tâches en unités
élémentaires, le chronométrage qui s’ensuit, déqualifie le travailleur
en lui ôtant toute responsabilité. De nos jours, le travail
sur machine automatiques responsabilise le travailleur. Dès les années
soixante S. Mallet dans son livre :
La nouvelle classe ouvrière (1963), constate que l’apparition
des machines-transferts transforme le travail de l’ouvrier. La
machine-transfert est un ensemble de machines-outils dans laquelle la
pièce à travailler se déplace mécaniquement de poste en poste .L’ouvrier
est écarté du procès de production, il se situe soit en amont, à la
conception, soit en aval, pour le contrôle. Il n’effectue plus ne tâche
répétitive indéfiniment mais acquiert une vue d’ensemble. Il n’y a plus
parcellisation des tâches mais globalisation du processus de production. L’introduction de la
machine-transfert nous montre les relations de dépendance entre le travailleur
et le poste de travail. Ce dernier exige pour être pourvu, une qualification ;
de même, l’ouvrier doit être qualifié pour surveiller la fabrication,
un individu sans qualification ne pourrait assumer cette responsabilité. De plus, trois auteurs :
F. Erard, A d’I ; et M. Maurice montrent dans un article de la
revue : Sociologie du
travail : « Des entreprises face aux technologies flexibles »,
les conséquences de l’utilisation des machines-outils à commande numérique.
Le travail sur ces machines nécessite l’emploi de techniciens. La technologie
demande à la fois une main-d’œuvre qualifiée et impose une qualification
du poste de travail. Pour A. Touraine, le
passage de l’ "ancien système " au « système
de l’automatisme de fabrication », entraîne le passage de la qualification
de l’homme à la qualification du poste de travail. Mais les deux
exemples précédents montrent qu’il faut une qualification globale du
travailleur et de son poste. Peut-on scinder cette qualification ? La qualification n’apparaît
pas toujours dans la réalité comme l’expression d’un accord entre deux
parties. Comme le montre Michel Freyssenet,
dans sa théorie de la déqualification-surqualification du travail, la
qualification a plusieurs aspects. En effet, il distingue une qualification
« réelle » et une qualification »officielle ». Cette
dernière est un « rapport de force à un moment donné entre capital
et le travail ». Les qualifications sont représentatives de
cette « qualification officielle ». La « qualification
réelle », est plus proche du travailleur, de son savoir et savoir-faire.
Cette dualité de la qualification montre bien qu’il existe des relations
de dépendance entre qualification liée
au travailleur et qualification liée au poste de travail. Même
si M Freyssinet, dans une analyse marxiste, voit dans l’automation
un moyen de domination du patronat sur la force de travail, force est
de constater que l’ouvrier, même s’il surveille le processus, doit être
formé, qualifié. La qualification dans
le monde industriel ne peut se réduire au poste ou à l’individu, elle
doit forcément faire coïncider les deux. Comme le note Claude
Dubar dans : La socialisation – Construction des
identités sociales et professionnelles (1991), la qualification
provient à la fois des exigences des employeurs, de la valeur des travailleurs
et du pouvoir de légitimation de l’Etat. Pour que la qualification soit
à la fois exigences techniques et compromis social entre les parties,
il faut « construire des espaces communs de rationalité à partir
de logiques différentes ». Il faut qu’il y ait un « processus
conjoint de socialisation ». C. Dubar englobe dans ce processus
la formation, l’emploi et la « reconnaissance des compétences ». La notion de qualification
implique une compétence du travailleur (formation, savoir-faire, expérience),
une exigence technique liée au poste de travail, une volonté de l’employeur
(diminution des coûts, pouvoir), une action de Etat (régulation, certification).
C’est, pour reprendre les termes de Pierre Naville, un « rapport
social » complexe et évolutif. La qualification appartient
à l’individu. L’introduction du machinisme, des machines « simples »
aux systèmes complexes comme les machines à commande numérique et les
ateliers flexibles, demande et décrit les qualifications nécessaires
du poste de travail. On passe comme le remarque Alain Tourain de la
qualification de l’homme à la qualification du poste de travail. Cependant le processus
de qualification peut être analysé comme un « rapport social »,
la qualification n’est pas l’apanage d’une seule partie, mais plutôt
le fruit d’un consensus. Le travailleur met en avant sa valeur, ses
qualités ; l’employeur ses contraintes ; l’Etat permettant
la régulation du système et le maintien dans la durée de la certification.
La qualification serait plus justement un « rapport social »,
mixant qualités, formation, exigences techniques, contraintes,… le tout
restant évolutif. Le nouveau ROME
( Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois), de l’ANPE, dans
son tome IV, décrit les « crises de mobilité professionnelle ».
En effet, la situation sur le marché de l’emploi devenant plus tendue,
il paraît judicieux d’adapter la main-d’œuvre aux nouvelles et évolutives
formes d’emploi. Cet exemple nous montre que la qualification ne peut
appartenir qu’à une seule partie mais est plutôt le résultat d’un ensemble
de besoins. Il serait peut-être intéressant de réfléchir sur la notion
de compétence et de montrer comment elle complète la qualification. |
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