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Les
politiques de « discrimination positive » : quel bilan ? « Le
lien avec autrui ne se noue que comme responsabilité, dire :
me voici. Faire quelque chose pour un autre… ». Pour
répondre à ces questions, c’est d’abord l’analyse du cas américain
qui sera l’objet de l’étude, pour nous intéresser ensuite à la société
française en comparaison avec la précédente. Pendant les années
soixante aux Etats-Unis, on assiste à une « déracialisation »
de la nation américaine, le non-WASP (White AngloSaxon Protestants)
accèdèrent à des postes importants comme par exemple :
J.F. Kennedy, J. Carter, R. Reagan, H. Kissinger…. Ce fut une
période de ségrégation des écoles et des espaces publics, aucun emploi
n’était réservé aux Blancs. Les Noirs pouvaient accéder, dans la théorie,
à tous types d’emplois. Les Civil Rights Act de 1964
interdisaient toute discrimination fondée sur la « couleur,
la religion, le genre ou l’origine nationale ». Pendant cette période,
on ne parle pas de quota, de
mesures de compensation envers certaines communautés qui auraient
pu se sentir lésées mais chacun a les mêmes droits. Il n’y a pas de
préférences pour les anciennes victimes de la discrimination raciale.
La loi était « color-blind » (aveugle à la couleur).
C’était un régime basé sur l’égalité des chances et non une égalité
des résultats. Mais, cette période
ne durera pas, en effet, dans les années soixante-dix, peut-être à
cause d’une absence de résultats probants et d’un maintien des inégalités
entre les Blancs et la communauté noire en particulier, le gouvernement
décida d’instaurer une politique de discrimination positive
ou Affirmative Action. Cette politique consista à créer des
mesures de références communautaires et de traitement préférentiel,
notamment dans les entreprises et à l’université. Après plusieurs années
d’application de ces mesures, on
peut tirer quelques conclusions sur leurs effets. Malheureusement,
les effets pervers de ce genre de mesures, sont nombreux et pas forcément
allant vers la modernité de l’égalité des races. Le mouvement des
droits civiques avait voulu supprimer toute discrimination raciale,
reconnaître à chacun des droits et des devoirs sans distinction d’origine,
de particularité, de couleur de peau… les mesures de discrimination
positive, partant sûrement d’un constat, remettent en cause « l’accès
à… » quelle que soit la valeur intrinsèque des candidats pour
les minorités. Pour la majorité, l’accès à l’université par exemple,
se fait en fonction du travail personnel, des mérites de chacun. Les
mesures de discrimination positive aux Etats-Unis se généralisent
à la fin des années soixante-dix. Il fallait pour le gouvernement
de l’époque compenser la faible représentation des Noirs en particulier
dans certaines institutions. Or, ce mouvement
partant de bonnes intentions, départage néanmoins les individus, fait
cesser l’égalité des mérites, singularise les communautés sans s’appuyer
sur une réelle infériorité, stigmatise les personnes. En effet, l’analyse
d’Erwing Goffman dans son livre : Stigmate de 1963,
montre bien la partition qui se fait entre les individus « discrédités »
et ceux qui sont « discréditables ». Ils passent
d’une certaine façon de la deuxième catégorie à la première. Comme
l’écrit Goffman, on crée ainsi des « symboles de stigmate…
dont l’effet spécifique est d’attirer l’attention sur une faille honteuse
dans l’identité… ». Les stigmates,
les étiquettes, tous les « signes porteurs d’information
sociale » peuvent remettre en cause l’homogénéité et la cohésion
sociale. Ceux qui ne sont ni « discrédités », ni « discréditables »,
peuvent demander des comptes, trouver dans leur milieu d’appartenance
des injustices, réclamer une mise à niveau de leurs droits. Comme
nous le montre l’exemple des différentes communautés féministes, homosexuelles,
handicapées et sectaires. De plus, l’identité
de l’individu n’est plus personnelle mais communautaire. On
ne s’affirme pas en tant que personne mais plutôt en tant qu’individu
appartenant à une communauté. Ce qui peut induire des crises identitaires,
ne pas valoriser les efforts personnels pour exister, on doit s’en
remettre à la communauté. Le bilan des mesures
de discrimination positive n’est pas forcément utile, à la fois pour
les communautés qui en profitent et pour ceux qui n’e bénéficient
pas. Les minorités peuvent ainsi voir leur identité collective se
déliter, ils s’en remettent à une « instance supérieure »
qui décide pour eux. Il n’y a plus cet aspect du combat, de l’opposition,
de la mobilisation collective qui permet de se forger une conscience
commune. Le groupe étant assuré d’un certain quota de places,
il ne cherche pas forcément l’obtention d’un nombre plus important. Par ailleurs, au
niveau individuel, la personne peut être tiraillée entre son appartenance
à la communauté où elle bénéficie de droits « supplémentaires »
et une volonté de perdre ses particularismes (origine raciale, pays
d’immigration, langue d’origine…) qui pourrait l’amener à mieux s’intégrer
dans la société. L’exemple des immigrants italiens arrivant à New-York
a montré leur désir d’abandonner leur langue d’origine pour « passer
inaperçus ». Ces mesures touchent-elles
tout le monde ? Ont-elles une durée limitée ? On constate que certains
groupes n’ont pas eu accès à ces mesures comme par exemple, les Américains
d’origine chinoise ou japonaise. Ces mesures ne sont-elles pas aussi
un "cache-misère" destiné à donner bonne conscience
à une majorité de Blancs comme le souligne Denis Lacorne dans
la revue Hérodote en 1997 ("La crise de l’identité américaine ") ?
Ne sont-elles pas un moyen d’apaiser certaines revendications légitimes ?
Les avantages donnés aux Noirs et aux hispaniques sont-ils réellement
compensateurs ? Se pose aussi le problème de la mesure, comment
apprécier un discrédit ? Comment y remédier ? Des exemples de mesures
de discrimination positive peuvent être : accéder à une école
publique malgré des notes inférieures à la moyenne du dernier admis
Blanc ; avoir un poste réservé dans une entreprise malgré un
marché du travail concurrentiel… Comment peut-on taxer une société
qui adopte de telles mesures, sur un principe de méritocratie,
sur une égalité civile ? Denis Lacorne admet
que de telles mesures puissent exister mais il faut qu’elles soient
limitées dans le temps et réservées à seulement quelques groupes vraiment
en difficulté, il écrit notamment : « il faut que la
discrimination soit patente … la préférence ethnique ne devrait
jamais être absolue ». Le point de vue de
Paul Thibaud, dans l’hebdomadaire l’Express du 20 octobre
1997 renforce les propos de Denis Lacorne. Il remarque que la non-intégration
des Noirs a conduit le gouvernement à mettre en place des mesures
de discrimination positive. « On a dû forcer l’obstacle par
la discrimination positive ». Pour lui, l’absence de réelle
affirmation du groupe en tant que communauté a conduit les hommes
politiques à les favoriser en tant qu’individualité, ce qui entraîne
un manque d’unité de revendications et du groupe. « Ce sont
des collections d’individus unis par des frustrations et la mise en
scène de griefs ». Ces mesures de discrimination
positive entraînent un nouveau communautarisme, non plus basé
sur une volonté d’intégration par étapes dans la société américaine,
mais une « dilution » des forces de mobilisation collective,
une anomie des individus qui se laissent aller et reçoivent
quelques « subsides » du gouvernement en termes de places
réservées. Les différents auteurs,
soit modèrent l’impact de ces mesures, elles permettent de combler
un déficit initial, soit sont contre, elles conduisent à l’apathie.
Les mesure d’ Affirmation Action sont donc l’objet
de controverses, notamment dans le monde anglo-saxon. Le bilan qu’on
peut en tirer est plutôt négatif même si certains auteurs reconnaissent
leurs aspects positifs. Peut-être ne faut-il pas les laisser perdurer ? Le président Clinton
s’interrogea sur l’utilité de ces mesures. Les mesures américaines
sont de nature différentes des mesures françaises. Ces mesures d’actions
positives ont été introduites par le président Johnson pour
faire accéder la minorité noire à des postes dans l’entreprise et
dans l’école. En 1997, ces mesures sont remises en cause dans l’état
de Californie, c’est la « proposition 209 », adoptée
par référendum, qui abolit les préférences raciales à l’embauche dans
les emplois d’Etat, dans l’attribution des contrats d’Etat et dans
l’accès à l’école publique. L’exemple de la prestigieuse université
de Berkeley en Californie montre la diminution des admissions
de membres provenant des minorités ethniques. Les Noirs, les Indiens,
les Hispaniques et Asiatiques sont en forte décroissance. Le président
Clinton souhaita amender cette loi, sans la supprimer, il a dit notamment :
« mend it, don’t end it », (« l’assouplir mais ne pas
l’abolir ». On remarque aussi
qu’au sein des communautés, les divergences sont nombreuses. Certaines
minorités, notamment les Asiatiques qui représentent dix pour cent
de la population de Californie, sont contre ces mesures. Ils pensent
qu’elles jouent en leur défaveur, réservant des places aux Noirs qu’ils
auraient pu obtenir par leurs seuls mérites personnels. On s’aperçoit
que l’origine raciale des membres des communautés a une importance. En effet, les immigrés
asiatiques se sont installés plus récemment aux Etats-Unis, avec un
autre état d’esprit, fuyant les difficultés de leur pays d’origine,
ils ont une volonté forte d’intégration et n’hésitent pas à fournir
un travail important. La minorité noire est partagée dans ses revendications
et le lourd héritage de la guerre de Sécession pèse sur son
intégration dans la société où les Blancs, en général, détiennent
le pouvoir central. De plus, les Asiatiques
et les Hispaniques s’intègrent plus facilement à la société américaine
comme le montrent les mariages mixtes, ils sont d’une certaine
façon, plus réticents à la généralisation ou à l’exclusion des mesures
de discrimination positive, notamment pour l’accès à l’école publique.
Par contre, dans un article du Wall Street Journal cité par
Le Monde du 26.09.97, ils ont bénéficié d’aides dans l’octroi
de contrats publics et d’embauche dans les sociétés américaines. En
dix ans, l’attribution de contrats pour les Asiatiques a augmenté
de plus de cent pour cent, notamment ceux qui sont réservés aux petites
et moyennes entreprises. On constate que certaines
mesures réussissent mieux à certaines communautés, en particulier
les Asiatiques qui savent en profiter jusqu'à jour où elles s’aperçoivent
de leur effet « contre-productif ». les mesures de discrimination positive sont-elles toujours nécessaires, ou ne peuvent-elles
pas prendre d’autres formes ? En effet, en France,
à l’instar des Etats-Unis, les mesures de discrimination positive
se concentrent dans le milieu scolaire. Dans les années quatre-vingt,
le nouveau gouvernement de gauche décide de « favoriser »
certaines zones scolaires par l’octroi d’une aide supplémentaire en
terme de moyens financiers et humains. Ce sont les ZEP (zones
d’éducation prioritaire) que le gouvernement met en place à partir
de 1982. 380 ZEP sont crées pendant ces deux années en France. En
1977, on recense 530 ZEP, qui concerne presque dix pour cent de l’effectif
des collégiens. La différence majeure
avec les mesures d’action positive aux Etats-Unis, c’est que les mesures
françaises touchent une population indifférenciée d’élèves (Français,
Français d’origine étrangère, étrangers). On constate simplement une
plus forte proportion de personnes défavorisées et notamment des immigrés
dans ces populations, donc d’une façon médiate les mesures favorisent les personnes d’origine étrangère
et/ou immigrés, mais sans se référer à la notion de communauté ethnique. A l’inverse, aux
Etats-Unis, ce sont des minorités identifiées qui sont aidées, en
France, ce sont des zones géographiques. Dans notre pays,
on emploie pour qualifier les ZEP souvent cette formule : « On
donne plus à ceux qui ont moins », cela se traduit en termes
de moyens supplémentaires aux établissements des quartiers difficiles
où sévit l’échec scolaire. Il s’agit d’aider les enfants en
échec scolaire par un soutien supplémentaire pour faire les
devoirs, renforcer les cours de base et notamment le français, améliorer
et entretenir des relations avec les familles. Mais cette assistance
ne permet pas l’octroi d’un marché public, une place réservée. Il
n’y a pas de quotas comme aux Etats-Unis. De plus, le critère
ethnique n’est pas pris en compte, mais simplement les faibles ressources
socio-économiques des familles. En France, la logique est territoriale
et non communautaire, pays où l’on prône les valeurs universelles,
les hommes politiques refusent de prendre en compte l’aspect multiculturaliste,
contrairement aux pays anglo-saxons. Les mesures françaises répondent
à un réel besoin d’encadrement d’une population défavorisée. Elles
s’appliquent sans distinction de race, d’origine ethnique, à une population
dans le besoin. Elles ne viennent
pas en diminution d’une aide à d’autres zones plus favorisées. Le
ministère de l’Education nationale essaie par ces mesures de
réduire les inégalités sociales. Le
bilan des mesures de discrimination positive est partagé entre deux
modèles : américain et français. Aux Etats-Unis, ces mesures
sont sujettes à controverses. Peut-être trop longtemps appliquées,
ces mesures connaissent des effets pervers et montrent un défaut d’intégration
de certaines communautés. Par contre, d’autres groupes communautaires
savent en tirer profit jusqu’à une certaine limite. En France, la
logique est différente et les mesures ne s’appliquent que dans le
monde scolaire. Les changements de majorité politique n’ont pas remis
en cause des mesures qui s’avèrent répondre à des besoins d’intégration
et de cohésion sociale. |
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