LA MONDIALISATION EST-ELLE COUPABLE ? ANALYSE DE RICARDO LIBRE-ECHANGE AVANTAGES COMPARATIFS FMI DSK crises financières européennes déficits publics surendettement le rôle des banques | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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LA
MONDIALISATION EST-ELLE COUPABLE ?
1. L’analyse fondatrice de Ricardo
L’objectif est de montrer qu’en se spécialisant dans les productions pour lesquelles ils disposent d’avantages comparatifs, deux pays ont intérêt à pratiquer le libre-échange, qui améliore leur situation par rapport à une situation d’autarcie, où ils produiraient chacun tous les biens dont ils ont besoin. Ricardo souhaite donc aller plus loin qu’Adam Smith, qui raisonnait en termes d’avantages absolus : si dans un domaine, les coûts de production sont plus élevés qu’à l’étranger, on a intérêt à acheter le bien à l’étranger plutôt que de le produire sur place, cela permet d’économiser des facteurs de production, qui sont disponibles en plus grande quantité pour réaliser les productions pour lesquelles le pays possède un avantage absolu en termes de coûts de production. De cette spécialisation en fonction des avantages absolus, il résulte une division internationale du travail qui provoque l’abondance. Ricardo cherche à aller plus loin dans la démonstration des gains associés au développement du libre-échange en montrant que même dans le cas où un pays n’a pas d’avantage absolu dans un domaine, il peut avoir intérêt à se spécialiser malgré tout, non pas en fonction des avantages absolus qu’il n’a pas, mais en fonction des avantages relatifs. Démonstration : Comme chaque pays est sur sa frontière de production, il n’est pas possible d’augmenter en même temps la production de tous les biens : si on augmente la production d’un bien 1, alors il faut renoncer à produire un peu de bien 2. C’est l’exemple célèbre du drap et du vin : Les coûts de production sont exprimés en quantité de travail nécessaire pour produire 1 unité de ces biens :
® au Portugal, pour produire une unité de drap supplémentaire, il faut renoncer à produire 90/80 = 1.125 unités de vin pour produire une unité de vin supplémentaire, il faut renoncer à produire 80/90 = 0.888 unités de drap. ® en Angleterre, pour produire une unité de drap supplémentaire, il faut renoncer à produire 100/120 = 0.833 unités de vin pour produire une unité de drap supplémentaire, il faut renoncer à produire 120/100 = 1.2 unités de vin La conclusion, c’est que l’Angleterre dispose d’un avantage comparatif dans la production de drap, puisque le coût relatif d’une unité de drap par rapport à une unité de vin y est plus faible qu’au Portugal (0.833 comparé à 1.125). Symétriquement, le Portugal dispose d’un avantage relatif pour la production du vin.
® si le Portugal se spécialise dans le vin, quand il produit une unité de vin supplémentaire pour l’exporter, il recevra en échange sur le marché anglais 1.2 unités de drap, c'est-à-dire plus que la quantité de drap qu’il a renoncé à produire sur son territoire (0.888 unités). En se spécialisant dans le vin, le Portugal disposera en définitive de plus de drap que s’il avait continué à produire et du drap et du vin. ® si l’Angleterre se spécialise dans le drap, elle y gagne elle aussi. A chaque fois qu’elle produit une unité supplémentaire de drap pour l’exporter, elle renonce à produire 0.833 unités de vin, mais elle obtiendra en échange de son drap, 1.125 unité de vin. Elle disposera donc de plus de drap que si elle avait continué à produire tout.
Les deux pays ont intérêt à se spécialiser, mais l’ouverture des frontières va modifier le prix relatif du drap et du vin dans les deux pays. En Angleterre, le prix relatif du drap va augmenter et il va baisser au Portugal. Ce sera le contraire pour le vin. Cette conclusion est importante pour les effets du libre-échange : cette modification des prix relatifs lèse certains groupes au profit de l’intérêt général, ce qui peut expliquer au moins en partie les résistances au libre-échange.
0.888 < p < 1.125 il y a modification des prix relatifs et donc modification de la répartition des revenus. On verra ensuite le même raisonnement transposé à des productions qui nécessitent l’emploi de plusieurs facteurs de production avec les analyses de Hecksher et Ohlin. Ils insistent eux aussi sur le rôle du commerce extérieur dans la répartition des revenus. Ils montrent que si l’exploitation des avantages comparatifs augmente le bien-être général des nations, il implique aussi une utilisation différente des facteurs de production et donc une modification de leur rémunération relative. Si un pays se spécialise dans l’industrie textile et délaisse son agriculture, les prix relatifs de l’industrie textile par rapport aux prix agricoles vont augmenter. On observera une hausse des salaires et des profits dans l’industrie textile et au contraire une baisse des revenus dans l’agriculture. Cette modification du partage des revenus, qui résulte de l’ouverture du marché intérieur est d’ailleurs un des avantages du libre-échange souligné par Ricardo : l’abolition des corn laws doit entraîner une baisse des prix du blé et donc une baisse de la rente, mais aussi une baisse des salaires, qui sont indexés sur le prix du blé, puisque ce sont des salaires de subsistance. La baisse des salaires et des rentes permet une hausse de la part relative des profits et donc une meilleure accumulation du capital , source essentielle de croissance. 2. Les prolongements du modèle des avantages comparatifs Les raffinements de l’analyse en termes d’avantages comparatifs portent sur l’origine de ces avantages comparatifs. Ricardo ne raisonnait que sur les coûts en travail, donc avec un seul facteur, c’est donc les productivités comparées d travail qui étaient la source des avantages comparatifs.
® en 1919, Elie Heckscher, économiste suédois, publie un article intitulé " les effets du commerce international sur la distribution du revenu ". Il y présente les grandes lignes de ce qui deviendra le modèle HOS. Ohlin, son élève, a repris ses idées en 1933 dans un livre sur le commerce international. C’est Samuelson qui formalisera ces analyses à la fin des années 40. Chez Ricardo, c’était les différences de savoir-faire et donc de technologie entre deux pays qui étaient la base des avantages comparatifs. Chez Heckscher et Ohlin, ce sont les différences de dotation de facteurs. ® les hypothèses de base sont les suivantes :
® un pays a un avantage comparatif dans le produit intensif dans le facteur pour lequel il est comparativement le mieux doté. Cette spécialisation en fonction des dotations factorielles engendre l’égalisation de la rémunération des facteurs ente pays partenaires. Les deux auteurs font remarquer que l’échange de produits a, de ce point de vue, le même effet que si on avait procédé à un échange de facteurs. Cela s’explique par l’utilisation du théorème de Stolper-Samuelson : lorsque le prix d’un produit augmente, cela augmente la rémunération du facteur qui est intensif dans la production de ce bien et cela diminue parallèlement la rémunération de l’autre facteur. Un pays abondant en travail, va produire des biens intensifs en travail et il y aura donc une augmentation de la demande de travail suite à l’ouverture des échanges. La rémunération du travail va augmenter et celle du capital va baisser. On retrouve l’idée selon laquelle l’échange international modifie la répartition des revenus : elle détériore la rémunération des détenteurs du facteur rare dans l’économie, ces détenteurs seront dons sans doute hostiles à l’ouverture.
® il réalise le premier test empirique du modèle HOS en 1953, à partir de données commerce américain en 1947. Il obtient un résultat paradoxal, puisque les Etats-Unis sont sensés être bien dotés en capital et qu’il observe une forte spécialisation dans des biens intensifs en travail. Il procède de la façon suivante : pour les biens exportés et pour les biens produits sur le territoire qui pourraient servir de substituts aux importations, il calcule le ratio suivant : K/L = quantité de capital /quantité de travail (quantités nécessaires pour produire le bien exprimées en $ pour le capital et en hommes /an pour le travail) Il trouve 13.99 pour les exportations et 18.18 pour les importations. On a donc le ratio = 1.3 > 1 alors que ce ratio devrait être inférieur à 1 étant donné la dotation factorielle des Etats-Unis. Ce premier test est suivi par d’autres études empiriques, portant sur différents pays, qui tantôt confirment, tantôt infirment le modèle HOS. ® ce test a été l’objet de différentes critiques :
Mais, outre le fait que cette évaluation de l’écart de productivité était un peu arbitraire, le raisonnement vaudrait aussi pour la productivité du capital. Si les deux facteurs sont multipliés par 3, alors on retombe sur le même paradoxe.
c. Le développement des analyses néo-factorielles et des analyses néo-technologiques. La critique de fond adressée au modèle HOS c’est l’idée qu’il y aurait une irréversibilité des intensités factorielles : en fait, un même bien peut être intensif en travail dans un pays bien doté en travail et intensif en capital dans un autre pays. Dans ce cas, le théorème HOS n’est pas vérifié, pas plus que celui de Stolper-Samuelson sur l’égalisation des prix de facteurs. ® les analyses néo-factorielles : elles visent à mieux mesurer la dotation factorielle. Léontieff dès 1956 avait montré que les exportations américaines nécessitaient l’emploi d’une main-d'œuvre plus qualifiée que dans les industries produisant des biens substituts d’importation. Kravis (1956) observait aussi que les salaires étaient plus élevés dans les industries d’exportation que dans les autres. Le capital humain et la qualification du travail deviennent importante des avantages comparatifs. Une étude de Wood (1964) montre que les différences de qualification expliquent bien la structure des échanges commerciaux Nord/Sud. ® les analyses néo-technologiques : elles essaient d’expliquer le paradoxe de Léontieff en revenant sur une des hypothèses de HOS, à savoir que tous les pays sont capables de produire le mêmes biens car ils disposent de la même technologie. Elles introduisent au contraire l’idée qu’il existence des différences d’évolution technologique selon les pays. On distingue deux types d’approches néo-technologiques : · l’écart technologique , théorisé par Posner en 1961. Son idée est la suivante : le pays dans lequel apparaît une innovation bénéficie d’un avantage absolu sur les autres partenaires commerciaux pendant un certain temps, il pourra donc exporter ces nouveaux produits issus de l’innovation. Ces nouveaux produits sont ensuite imités, en raison de la diffusion des technologies, mais d’autres innovations viennent prendre le relais. Dans cette analyse, la source des avantages comparatifs c’est l’écart technologique qui existe avec les autres pays. Les pays qui possèdent une avance technologique exportent des biens intensifs en nouvelles technologies, les autres des biens banalisés. Ces intuitions de Posner ont été formalisées ensuite par Krugman (1979). Dans son modèle, il existe deux zones :
L’innovation prend la forme d’innovations de produits, qui sont d’abord fabriqués au Nord, puis ensuite au Sud. Krugman montre que le Nord est condamné à innover sans arrêt, pour maintenir l’écart technologique avec le Sud, sinon ses industries déclinent et disparaissent à cause de la concurrence des pays à bas salaires. Les hauts salaires du Nord reflètent selon lui la rente de monopole associée aux innovations : si l’écart technologique disparaît, cette rente disparaîtra aussi, il ne sera plus possible de verser de hauts salaires. · le cycle du produit, théorisé par Vernon (1966) : il insiste sur le lien entre le cycle de vie d’un produit et les évolutions des échanges internationaux.
De nombreuses vérifications empiriques semblent valider cette thèse. Elles ont conclu à une forte corrélation entre les performances américaines à l’exportation et l’importance de la R&D et du nombre de brevets déposés dans le pays. Plus les pays innovent et plus ils exportent des biens nouveaux et différenciés, pas encore banalisés. Ce socle théorique, lié aux avantages comparatifs, est longtemps resté le seul, on verra dans la seconde partie, comment il a été partiellement remis en cause. L’idée commune à toutes ces analyses, c’est que les pays étant différents, ils ont intérêt à échanger pour tirer partie de ces différences et que le libre-échange est plus efficace, plus profitable que l’autarcie pour le bien-être général, ce qui ne signifie pas pour autant que certains groupes ne puissent pas être lésés. Ce socle a servi de base à un certain nombre de pratiques visant à développer le libre-échange (partie B), au nom du fait que le protectionnisme présentait trop d’inconvénients, trop d’effets pervers, dont on peut faire la liste :
® les partisans du libre-échange rappellent d’abord que les périodes de développement du libre-échange sont aussi des périodes de forte croissance, c’est déjà le cas pendant la parenthèse libre-échangiste de la seconde moitié du XIXème siècle, qui se clôt avec les difficultés économiques de la fin du siècle. C’est vrai aussi des Trente Glorieuses, pendant lesquelles on observe un très fort développement des échanges, le commerce international progressant d’ailleurs plus vite que le PIB mondial entre1947 et 1992, les échanges ont été multiplié par 64 en valeur, en volume, ils ont progressé de 40% de plus que la production mondiale. Au contraire, pendant l’entre-deux-guerres, on constate une contraction des échanges, en même temps que la crise des années 30. ® sur la période de l’après-guerre, les deux grands pays qui ont connu la plus forte intégration aux échanges sont le japon et la Corée du Sud, ce sont aussi eux qui ont connu la croissance la plus forte. En Europe, c’est l’Allemagne et la Suède (par opposition à la grande Bretagne). Si on raisonne par secteurs, aux Etats-Unis, on peut opposer l’évolution des services et celle de l’agriculture. Même chose pour les pays en développement : ceux qui s’en sont le mieux sortis, compris dans le contexte difficile de la crise de la dette, sont : la Corée du Sud, Taïwan, la Thaïlande en Asie ; en Amérique latine : Mexique, Chili et Brésil ; en Europe de l’Est : Pologne et Hongrie et en Méditerranée : Turquie, Tunisie et Maroc. Les pays qui avaient essayé de mener des stratégies auto-centrées ont connu des échecs : industries industrialisantes en Algérie, les stratégies de substitution des importations aux exportations,…
Le GATT est créé en 1947 (General Agreement on tarif and trade). C’est un accord signé par 23 pays (d’autres s’y sont ajoutés par la suite) avec 38 articles, qui précisent les principes qui doivent guider la libéralisation des échanges. Il est né de la même volonté que celle qui a guidé la signature des accords de Bretton Woods : éviter de revenir aux conflits de l’entre-deux-guerres et donc nécessité de lutter contre les obstacles au libre-échange pour éviter le retour à une spirale protectionniste. Les pays signataires s’engagent à respecter différentes obligations : ® les obligations centrales, qui constituent la partie I du traité :
® le code de conduite : il s’agit de promouvoir un " fair trade ", commerce loyal en ne recourant pas à des formes déloyales de concurrence et de protectionnisme déguisé. Les nations signataires s’engagent donc à pratiquer ce " fair trade ", c'est-à-dire :
Il y a des exceptions à ces obligations :
Ces accords régionaux doivent être notifiés au GATT, qui examine le respect des deux conditions. Si on examine la liste des accords régionaux notifiés au GATT depuis sa création, on observe qu’ils sont relativement nombreux, on désigne généralement ce phénomène par l’expression de " montée du régionalisme ". Il existe tout un débat pour savoir si c’est un obstacle ou pas au développement du libre-échange.
Il y a eu tout un cycle de négociations multilatérales que l’on a appelées des " rounds ".
Malgré cette réussite, deux problèmes demeurent : au delà de la baisse des taux moyens, il existe des " pics tarifaires " très élevés (c’est le cas aux Etats-Unis) pour certains produits, d’autre part les protections non tarifaires demeurent.
Les résultats : la CEE n’obtient pas d’harmonisation des tarifs américains sur les siens : les droits sur les produits textiles restent à 35%, 48% pour les chaussures, il y a 100 produits, pour lesquels les droits restent supérieurs à 30%. Le principe de diminution linéaire n’est pas non plus adopté. Malgré tout, les droits de douane ont bien diminué : -35% pour les produits industriels et –20% pour les produits agricoles. Les taux moyens des droits de douane sont de 8% pour la CEE et de 13.4% pour les Etats-Unis. Un accord est signé sur les pratiques anti-dumping. En échange de concessions sur les tarifs douaniers, les Etats-Unis s’engagent à supprimer l’American Selling Price, c'est-à-dire une pratique qui consistait à calculer les droits de douane sur le prix des produits importés à partir des prix de produits américains concurrents (et souvent plus élevés !). En fait cet accord ne sera jamais appliqué.
Les résultats sont les suivants :
II. Le débat actuel sur la mondialisation et sa responsabilité dans la crise. Parmi les facteurs qui pourraient expliquer la rupture des taux de croissance après 1973, on évoque souvent le fait que les économies étant plus ouvertes, les conditions de la croissance ont changé, l’internationalisation accrue ayant fait pesé sur les économies nationales une contrainte extérieure forte, qui rendrait caduques les vieilles régulations, notamment les politiques keynésiennes. Longtemps présentée de façon presque unanime comme facteur de croissance, l’internationalisation apparaît alors parfois comme une menace. L’objectif de cette partie est de faire le point sur cette question de l’apport de l’ouverture extérieure à la croissance et éventuellement sur sa part de responsabilité dans la crise. En particulier, on présente souvent la mondialisation comme la cause du chômage et de l’augmentation des inégalités. On a vu comment les négociations du GATT ont été rendues plus difficiles par ce contexte de crise. On voit refleurir avec plus de force les discours protectionnistes, sous-tendus par cette idée que la mondialisation est coupable de tous les maux.
La première grande distinction passe entre les barrières tarifaires et les barrières non-tarifaires :
Ces accords d’autolimitation sont couramment pratiqués aux Etats-Unis, en violation des principes du GATT : 9% environ des importations aux Etats-Unis sont touchés par de tels accords d’autolimitation.
Les japonais enfin, se sont fait une spécialité de ces usages protectionniste des normes, notamment l’obligation qui est faite de respecter une taille minimum pour les caractères sur les emballages, ce qui favorise les langues à idéogrammes…
Malgré ces limites, certaines études empiriques concluent que cette arme a été utilisée par le japon : le Yen aurait été sous-évalué entre 1975 et 1978, puis de 1979 à 1981, ce qui aurait permis une hausse des parts de marché des entreprises japonaises à l’étranger et une limitation des importations. Bilan : si on fait le tour des différentes pratiques protectionnistes, on s’aperçoit que les pays riches ne craignent pas par moment de pratiquer les différentes formes de protectionnismes, y compris pour se protéger des pays du Sud.
Dès le XIXème siècle, il existe des opposants aux doctrines libre-échangistes développées dans le cadre ricardien. Ils soulignent les effets négatifs de la concurrence entre des nations qui n’ont pas atteint le même niveau de développement. C’est dans le contexte de la Révolution industrielle, que se développent ces thèses, notamment en Allemagne, aux Etats-Unis et au Japon, qui sont trois pays touchés plus tardivement par cette révolution industrielle, qui font donc plutôt partie de la seconde vague d’industrialisation. L’expression la plus connue de ces raisonnements sur les effets négatifs du libre-échange, pour les pays qui démarrent et connaissent donc un retard économique, a été formulée par Friedrich List, en 1840, dans son Système national de l’économie politique. Il est partisan du Zollverein (union douanière en Allemagne, entre des états, qui n’ont pas encore réalisé leur unité politique) avec l’idée que l’unification du marché intérieur va favoriser l’industrialisation, à condition qu’il soit protégé de l’extérieur par des barrières douanières. Il insiste sur le fait que la puissance économique d’un pays vient de sa capacité à développer une industrie, qu’il existe donc des spécialisations plus avantageuses que d’autres et qu’on ne doit donc pas s’en tenir à des avantages comparatifs acquis : il ne suffit pas d’exploiter des avantages acquis, il faut en construire, pour se spécialiser dans des productions avantageuses. Il constate par ailleurs que les écarts de développement sont déjà importants et qu’un pays qui souhaite développer son industrie, source de sa puissance, ne pourra pas résister à la concurrence venue d’entreprises déjà installées depuis longtemps sur e marché et bénéficiant donc de coûts de production inférieurs (grâce aux économies d’échelle et aux effets d’apprentissage). Dans un premier temps, les biens importés seront plus compétitifs que les biens fabriqués sur le marché intérieur. List préconise un " protectionnisme éducateur ", pour les industries " naissantes " ou " dans l’enfance ". Il s’agit donc d’une protection temporaire, le temps que l’industrie nationale puisse devenir compétitive. (remarque : le problème est de savoir à quel moment lever ces protections) Cette thèse fait l’objet d’un relatif consensus, y compris au sein du GATT, elle y inspire les dispositions particulières en faveur des PED. En toile de fond de cette thèse ou des thèses similaires défendues aux Etats-Unis par Hamilton (1891, Report on manufactures), il y a l’idée que l’Angleterre est libre-échangiste, parce qu’elle est en avance économiquement et que le libre-échange est profitable aux nations, à partir du moment où elles en sont au même niveau de développement, et à partir du moment où elles ont pu développer suffisamment leur industrie. En Allemagne, comme aux Etats-Unis, dès les années 1870, les politiques d’industrialisation se sont accompagnées d’un protectionnisme important, alors que, suite à l’abolition des corn-laws (1846), à la signature du traité de libre-échange entre la France et l’Angleterre (1860), à l’établissement du Zollverein (1866), on avait assisté plutôt à un mouvement de libéralisation des échanges en Europe, avec une baisse des droits de douane dès le milieu du XIXème siècle. De 1861 à 1867 10 traités de libre-échange sont signés en Europe, accordant la clause de la nation la plus favorisée. Malgré ces évolutions, on assiste ensuite à un retour du protectionnisme, qui débute en 1865 aux Etats-Unis avec la fin de la guerre de Sécession (victoire du Nord, protectionniste contre le sud, libre-échangiste), suivis par d’autres pays, dont l’Allemagne, dès 1879. Ce retour à des mesures protectionnistes est directement lié à des politiques volontaristes d’industrialisation. C’est aussi le cas en France dès 1881 avec l’adoption d’un tarif extérieur, puis en 1892 avec le vote de la loi Méline, aggravée en 1910. Aux Etats-Unis, en 1913, le tarif moyen appliqué aux produits manufacturés atteint 44%. C’est au Japon qu’on voit se développer avec encore plus de netteté le lien entre nationalisme économique et réussite : lien entre le politique d’industrialisation de l’ère Meiji et le protectionnisme.
L’idée commune aux théories de l’échange inégal, c’est que contrairement à ce qu’affirment les modèles inspirés des avantages comparatifs, tous les pays ne sont pas forcément gagnants au libre-échange, parce que les avantages comparatifs négligeraient les rapports de force internationaux, qui font que certains pays fixent les règles du jeu à leur avantage. Samir Amin, par exemple, insiste sur la différence entre le " centre ", qui fixe les règles du jeu, et la " périphérie ". La domination du centre sur la périphérie, permet le développement de l’échange inégal, qui se fait au profit des pays riches et aux dépens des pays pauvres, peut prendre différentes formes :
Pour payer ces importations de cotonnades, il fallait que l’Inde exporte et l’Angleterre l’a encouragée à développer les cultures d’exportations, en développant des exploitations appartenant à des européens. Le rôle des pays colonisateurs a donc plutôt consisté à bloquer l’industrialisation des pays colonisés et à leur imposer une spécialisation peu avantageuse à long terme dans les matières premières. Si on analyse l’exemple indien au regard des avantages comparatifs, on peut dire qu’il était normal que l’Angleterre exporte des produits textiles, puisqu’elle possédait un avantage comparatif dans ce domaine, grâce à la mécanisation, mais ce que souligne aussi cet exemple, c’est que la théorie des avantages comparatifs ignore les effets de long terme de la spécialisation, le fait que certaines spécialisations sont plus avantageuses que d’autres.
prix des exportations prix des importations Il était généralement admis qu’il y avait eu une dégradation des termes de l’échange pour les pays du tiers monde, en raison de leur spécialisation dans les matières premières, dont les prix connaissent des fluctuations importantes, généralement orientées à la baisse. Cette question de la dégradation des termes de l’échange est l’objet de débats. Jacques Marseille la conteste : il reprend l’exemple donné souvent : en 1954, on achetait une jeep contre 14 sacs de café et en 1962 il en fallait 39. Il conteste d’abord les années de référence : en 1954, le cours du café avait atteint un record historique. Malgré tout, il semble qu’il existe une tendance assez générale à la dégradation : une enquête de la banque mondiale a étudié l’évolution du rapport : Prix des matières premières (hors pétrole) Prix des importations industrielles Ce rapport passe de l’indice 145 en 1948 à l’indice 100 en 1989, soit une baisse de 45%. On retrouve les mêmes résultats pour la période 1968-88 : la dégradation des termes de l’échange atteint 41% pour les matières premières et 14% pour les produits manufacturés.
On a utilisé ce terme de mondialisation ou de globalisation (tiré de l’anglais) pour désigner l’accélération et l’approfondissement de l’internationalisation, avec l’idée que l’approfondissement des échanges allait de pair avec un changement de nature de ces échanges. Au delà de l’idée de changements quantitatifs et qualitatifs dans les mouvements d’internationalisation des économies, il règne un certain flou sur l’utilisation de ce terme. Robert Boyer, dans un ouvrage collectif intitulé, La mondialisation : mythes et réalités, distingue 4 définitions par ordre d’apparition chronologique, en montrant que le terme a d’abord désigné des changements dans le mode de gestion des firmes, puis une nouvelle étape dans l’internationalisation des économies capitalistes. Les quatre acceptions du terme mondialisation sont les suivantes, par ordre d’apparition chronologique :
® un fort développement des échanges On observe depuis 1945, un fort développement des échanges : les flux mondiaux de marchandises, sont passés de 63 milliards de $ en 1950 à 2100 milliards en 1986, en volume, ils ont été multipliés par 9 sur la période, alors que la production mondiale n’a été multipliée que par 4.8. Autres estimations : entre 1947 et 1992, les échanges internationaux ont été multipliés par 64 en valeur, passant de 57 milliards de $ à 3650 milliards de $ (services exclus). En volume, ils ont progressé 40% plus vite que la production mondiale. Malgré le ralentissement de la croissance, le commerce international a continué à croître plus vite que la production : +5.3% par an entre 1984 et 1994, les exportations mondiales ont augmenté de 5% par an sur la période, alors que la production connaissait une quasi-stagnation en n’augmentant que de 0.5% par an. C’est le contraire de ce qui s’était passé dans l’entre-deux-guerres, où la crise s’était accompagnée d’une contraction forte des échanges. Ce fort développement ne concerne pas seulement les biens matériels, il concerne aussi les flux d’invisibles, c'est-à-dire les revenus liés au tourisme, aux activités financières internationales, les opérations d’assurance, les revenus et dépenses engendrés par les transports, l’utilisation de connaissances scientifiques ou de technologies (comme l’achat de brevets ou de licences), auxquels il faut ajouter les transferts de revenus par la main-d'œuvre immigrée et les mouvements de capitaux, liés aux rapatriements de bénéfices ou aux prêts bancaires. En 1967, les invisibles ne représentaient que ¼ des transactions courantes, ils en représentaient 31% en 1985. ® une forte croissance de l’ouverture des économies, résulte de ce développement des échanges plus rapide que la croissance de la production mondiale. Au lendemain de la guerre, les importations et les exportations de biens et services représentaient respectivement 10% et 12% du PIB. Au début des années 90, elles dépassaient 20% du PIB. En 1996, les importations représentaient 21.4% du PIB et les exportations 24%. Cette hausse du degré d’ouverture a bien entendu accru le poids de la contrainte extérieure. On peut mesurer le degré d’ouverture de différentes façons :
La montée des interdépendances se mesure par exemple par l’augmentation du second ratio :
Ce degré d’ouverture varie selon les pays :
® un fort développement des investissements à l’étranger, notamment des investissements directs. Quelques définitions : l’investissement à l’étranger peut prendre deux formes :
Le développement des échanges commerciaux n’est pas le seul canal d’approfondissement du mouvement d’internationalisation. Depuis les années 60, les firmes ont développé la création d’établissements à l’étranger, ce qui a correspondu au développement des firmes multinationales. Le développement des investissements directs est très marqué dans les années 80 : le flux de ces investissement a été multiplié par 7 en 15 ans :
De 1986 à 1990, le cumul de flux d’investissements annuels recensés par le FMI atteint 650 milliards de dollars contre 220 pour les cinq années précédentes. Au total sur la décennie 80, 870 milliards de $ contre 290 milliards seulement dans les années 70. On retrouve le même mouvement d’accélération pour tous les pays occidentaux, c’est particulièrement vrai pour le Japon : à partir de 1995 la production à l’étranger des producteurs automobiles japonais a dépassé le montant de leurs exportations, plus généralement les investissements à l’étranger représentaient 17 milliards de $ en 1980 et 217 milliards en 1991. La France a elle aussi beaucoup développé ses investissements directs à l’étranger, à partir surtout de 1986 : entre 1981 et 1986, le flux est de 20 milliards de francs, il atteint 200 milliards en 1990, soit une croissance de 50%/an en moyenne pendant 5 ans. On observe par la suite une diminution puis une nouvelle augmentation à partir de 1996. Parallèlement, on observe une réorientation des flux d’investissements français : davantage en direction des PED, notamment ceux d’Asie et les PECO (pays d’Europe Centrale et Orientale) : l’OCDE ne représente plus que 78% des investissements alors qu’en 1990 elle représentait encore 97%. Remarque : la France est aussi terre d’accueil des investissements étrangers : elle occupe le troisième rang mondial en 1996.
® en examinant les résultats · l’exportation reste malgré tout le principal vecteur d’échange, nettement avant la production des filiales établies à l’étranger. les entreprises américaines par exemple, n’ont que peu internationalisé leur production : parmi les firmes manufacturières, seule Ford emploie plus de 50% de ses salariés à l’étranger. Au Japon, Sony emploie 55% de ses salariés à l’étranger, mais il figure d’exception. Ne sont réellement globalisées (au sens de firme globale, définition 2) que quelques multinationales de petits pays très ouverts, comme Nestlé (Suisse), qui emploie 96% de ses salariés à l’étranger. · le technoglobalisme, c'est-à-dire l’idée, selon laquelle il existerait des accords au niveau mondial entre frimes pour fusionner leurs capacités technologiques et développer des savoir-faire communs, est plutôt démentie. Il existe des exemples d’accords de ce type dans l’électronique ou les télécommunications, qui visent à partager des coûts très élevés de R&D et à e faire porter la concurrence que sur les produits dérivés de ces innovations. Mais ces accords ne sont pas une généralité et la plupart des pays pensent les innovations comme une source importante de leur compétitivité et les firmes ne cherchent que rarement à diffuser des innovations dans des territoires étrangers. Les brevets restent très souvent nationaux. Seuls quelques petits pays comme les Pays-Bas, la Suisse ou la Suède ont réellement un système d’innovations internationalisées. · dans les sources de financement des entreprises, on ne voit pas non plus beaucoup de traces de la globalisation. Elles financent l’essentiel de leurs activités sur les marchés locaux. General motors et Ford ne financent qu’1/3 de leurs actifs à l’étranger, IBM la moitié. Les firmes continuent à dépendre majoritairement des règles en vigueur ans leur propre pays. D’ailleurs Boyer fait remarquer, comme d’autres observateurs, que le fort développement des flux de capitaux devrait rendre les firmes moins dépendantes des capacités d’épargne nationale, mais il montre que le taux d’investissement reste encore fortement corrélé u taux national d’épargne et reste peu sensible à l’ampleur des flux de capitaux. Il prend l’exemple de la crise mexicaine de 1994-1995, pour montrer qu’il est difficile de financer des projets d’investissement ambitieux, sans épargne nationale suffisante. A contrario, si les pays du Sud-Est asiatique connaissent des croissances plus rapides qu’en Amérique Latine, c’est aussi parce qu’ils épargnent deux fois plus, les investissements étrangers n’étant qu’un appoint à un processus interne. · la mobilité de la main d’œuvre reste très limitée, le capital est du coup nettement plus mobile que le travail, conséquence : les investissements se dirigent vers les réserves de main-d'œuvre, il s’agit pour Boyer davantage de délocalisation de la production que de globalisation de la politique d’emploi des firmes. · la loi du prix unique, qui devrait être vérifiée si on se trouvait dans une économie réellement mondialisée, puisque la concurrence généralisée entraînerait la convergence des prix mondiaux pour une même marchandise, or elle n’est pas vérifiée. Exemple : on observe en moyenne des différences de 20% dans le prix des modèles automobiles au sein des pays européens et des écarts plus importants encore pour les modèles haut de gamme. Autre exemple : au printemps 1996, l’indice du coût de la vie pour un cadre expatrié allait de 90 à Rome, 130 à Paris, 100 à New-York, 180 à Tokyo. Le prix de l’essence varie de 5 cents /litre à Carracas à 150 cents /litre à Vienne (la différence renvoie ici au pouvoir discrétionnaire des Etats de taxer certains produits peu substituables ou très liés à l’espace national. On observe la même chose pour les prix agricoles, qui eux aussi varient en fonction des subventions). · la conjoncture mondiale est un mythe pour le moment. Il est vrai que les marchés boursiers et financiers sont devenus très interdépendants, mais il persiste au-delà de fortes particularités nationales. Exemple : en mai 1996, les conditions de rémunération, c'est-à-dire le rapport valeur des actions/ rémunération, variait de 110 au Japon à 10 en Suède, il était de 70 en France et de 30 en Allemagne et ces écarts ne semblent pas se réduire au cours du temps. On observe la même chose pour les cycles d’optimisme ou de pessimisme, même au sein de l’Europe. ® en resituant les mouvements récents dans le plus long terme ; Le mouvement d’internationalisation est ancien :
Les villes qui sont au centre de l’économie-monde en Europe ont souvent changé au cours des trois siècles :
Entre le Xvème et le XVIIIème siècle, on a un capitalisme international, qui prend la forme de ces réseaux de relations entre villes étrangères, avec au centre une ville dominante, le capitalisme ne se développe pas sur la base des territoires nationaux pour ensuite s’internationaliser, il est d’emblée mondial avant même d’être national. Braudel note ensuite que l’économie-monde européenne a comme particularité d’étendre ses réseaux à d’autres économies-mondes dès le Xvème siècle : elle devient vite hégémonique en Amérique, après les grandes découvertes, et elle ouvre ses premiers comptoirs en Asie, de plus la traie des Noirs la met très tôt en relation avec l’Afrique. Au XVIIIème siècle, l’économie-monde européenne pénètre réellement en Inde et en Insulinde, même si les Hollandais et les Portugais y avaient déjà établi des réseaux.
Ces possibilités entraînent un développement des échanges commerciaux : Entre 1860 et 1913, le commerce mondial de marchandises est multiplié par 7 en volume. Les industries exportent déjà le quart de leur production en 1913 (26% pour la France, 31% pour l’Allemagne et% pour la Grande-Bretagne). On assiste déjà à l’époque à des débats sur le protectionnisme et le libre-échange : la Grande-Bretagne est libre-échangiste, forte de sa grande avance, les autres pays qui ont suivi, ont été plus ou moins protectionnistes. Boyer rappelle que dès le XIXème siècle, les conjonctures nationales sont en partie liées et que la baisse des coûts du transports entraîne un redéploiement des avantages comparatifs entre pays industrialisés (il fait un parallèle intéressant avec l’introduction aujourd’hui des technologies de l’information, qui redéploie les avantages comparatifs, non pas cette fois-ci entre pays industrialisés, mais entre pays émergents et pays de vieille industrie).
Le taux d’exportation (exportations /PIB)´ 100 a évolué dans les différents pays de la façon suivante :
Ford installe ses premières usines à l’étranger en 1913 (en Grande-Bretagne), puis en 1916 au Canada, suivi par d’autres grandes firmes américaines. Le phénomènes de multinationalisation est donc relativement ancien. Enfin, l’essor des investissements directs poursuit un mouvement de long terme : le flux d’investissement rapporté au PIB est de 3% en 1913 et de 4% en 1990 (qui représente un pic). Il y a simplement eu des changements dans l’origine et la destination de ces investissements. En 1913, il s’agissait essentiellement d’investissements britanniques. Après 1945, les investissements étrangers sont massivement d’origine américaine, on observe ensuite une diversification avec les japonais et les européens. Bilan : Si on prend en compte le temps long et en particulier l’échelle de tout le siècle, les phénomènes qui apparaissent comme radicalement nouveaux par rapport à l’époque des Trente Glorieuses et aux années 60, ne sont pas si nouveaux comparés à la situation au début du siècle.
® tout d’abord dans le fonctionnement du système monétaire international, les perturbations du système de change ont pu avoir des conséquences sur les échanges, en contribuant à perturber le jeu des compétitivités nationales. ® le mouvement de globalisation financière : on verra dans le chapitre sur cette question que, s’il est possible de nuancer l’ampleur des changements intervenus dans la mondialisation de la production, on peut difficilement contester l’importance des changements intervenus dans le système financier international, avec une explosion des mouvements de capitaux. ® la montée en puissance des NPI, c'est-à-dire la redistribution des cartes de la puissance :
Jusqu’en 1960, on n’observe pas réellement de bouleversements dans la hiérarchie entre les pays industrialisés et les autres. Seuls certains pays d’Amérique latine s’industrialisent pendant les deux premiers tiers du XXème siècle, mais ils pèsent très peu dans la production mondiale. La situation en 1960 est proche de celle du début du siècle : les pays développés réalisent les ¾ de la production mondiale manufacturière et les actuels PED moins d’1/10ème, les pays d’Europe de l’Est moins d’1/6ème. - la situation a commencé à changer à partir des années 60, en raison d’un mouvement rapide d’industrialisation en Asie du Sud-Est. Au milieu des années 90, la part des pays développés est revenue à 2/3, celle des pays communistes à 1/10 et celle des PED à ¼ de la production manufacturière mondiale. Cette poussée industrielle se traduit aussi dans la part des PED dans le PIB mondial : 40% du PIB mondial est réalisé dans les PED. Six des NPI font désormais partie des 15 premières puissances économiques au niveau mondial : il s’agit de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de l’Indonésie, du Mexique et de la Corée du Sud. La chine pèse le même poids que le japon, l’Inde pèse le même poids que la France et le PIB indonésien dépasse celui du Canada. Taïwan et la Thaïlande devraient avoir rejoint ce groupe des 15 premiers vers 2020 (chassant l’Espagne et le Canada). A l’horizon de 2020, la Chine devrait avoir un PIB supérieur de 40% à celui des Etats-Unis. La part de ce qu’on appelle aujourd’hui les PED serait de 60% dans le PIB mondial. Cette montée en puissance des PED est en fait largement une montée en puissance des NPI d’Asie. Depuis 1979, l’Asie en développement a doublé sa part dans le PIB mondial, c'est-à-dire qu’elle occupe aujourd’hui une part plus importante que celle des Etats-Unis ou celle de l’Europe Occidentale. Dans le même temps la part des autres régions en développement (Amérique latine, Afrique subsaharienne, Maghreb) a diminué sous l’effet de la crise de la dette et du contre-choc pétrolier. Cette poussée asiatique s’explique par une meilleure insertion dans les échanges internationaux, cette insertion se manifeste à la fois pour les exportations et pour les importations. Ce sont les NPI d’Asie qui sont responsables de la quasi-totalité de l’augmentation de la part des PED dans les exportations mondiales : la part des PED passe de 5% en 1970 à 22% en 1993. Autre indicateur, la part des PED sur les marchés mondiaux de produits manufacturés a aussi beaucoup augmenté : elle passe de 3% en 1970 à 17% en 1993. On observe parallèlement une hausse des importations, même si les NPI sont très critiqués pour leur protectionnisme, on peut les considérer comme des locomotives de la demande mondiale : leur poids dans les importations mondiales dépasse celui des Etats-Unis ou celui de l’Allemagne et du Japon réunis. On peut résumer ces évolutions :
Il faut remarquer plusieurs choses :
La montée en puissance des NPI, pays à bas salaires, est souvent présentée dans l’opinion publique comme une cause de chômage et de creusement des inégalités. Les économistes sont partagés sur ce sujet, on peut distinguer deux options :
La méthode est la suivante : on classe la population par ordre de revenu croissant, puis on la répartit en 10 tranches de 10%. Le décile peut désigner deux choses : Parfois la moyenne des revenus pour les ménages situés dans la tranche, parfois la borne supérieure de la tranche. Ainsi, le décile 1 (D1) peut désigner la moyenne des revenus pour les 10% les moins biens payés (c’est le cas dans les tableaux présentés par Piketty). Le décile peut aussi désigner la limite supérieure de la première tranche de 10%, c'est-à-dire le salaire au-dessous duquel se situent les 10% de salariés les moins bien payés. Quand on adopte la première notation, on appelle généralement P , P , ….P les valeurs limites séparant les différentes tranches de revenus. L’écart interdécile, généralement noté D /D ou selon le premier type de notation P /P , mesure le rapport entre ce que gagne au moins les 10% les plus riches et ce que gagnent au plus les 10% les plus pauvres. En France aujourd’hui cet écart est de 3.2, les 10% les plus riches gagnent plus de 3.2 fois plus que les 10% les moins bien payés. C’est donc un indicateur qui ne mesure pas les écarts maximums observés, puisqu’il élimine du calcul de l’écart des revenus la première tranche et la dernière. On ne mesure pas la même chose lorsqu’on compare des revenus moyens entre la tranche la plus élevée et la tranche la plus basse : D /D (notation Piketty) = salaire moyen des 10% les mieux payés / salaire moyen des 10% les moins bien payés Ce rapport est de 4.9 en France aujourd’hui, ce qui signifie qu’en moyenne les 10% de salariés les mieux payés gagnent 4.9 fois plus que les 10ù de salariés les moins bien payés. Piketty étudie l’évolution des inégalités depuis les années 70, en étudiant l’évolution de l’écart interdécile pour les salaires, il obtient les résultats suivants :
L’inégalité n’a réellement augmenté qu’en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, dans les autres pays les inégalités ont cessé de décroître. Aux Etats-Unis, l’augmentation des inégalités a été de 50%, ce qui les ramène au niveau de l’entre-deux-guerres. Piketty fait remarquer que si la France a réussi à éviter la réouverture de l’éventail des revenus disponibles, c’est grâce à une politique de revenus de transfert et surtout, qu’une autre forme d’inégalité se développe c’est celle face à l’emploi et il conclue sur le fait que les inégalités face aux revenus du travail ont augmenté dans tous les pays depuis les années 70, sous une forme ou sous une autre.
® l’examen des avantages liés aux bas salaires les bas salaires sont une forme particulière d’avantage comparatif, qui est le revers d’une spécialisation dans des biens à faible contenu technologique. Il faut nuancer cet avantage, puisque ce qui influence les coûts de production dans ce domaine, ce sont les coûts salariaux combinés à la productivité du travail et comme souvent les pays à bas salaires sont aussi des pays où la productivité du travail est faible, l’avantage en termes de coûts salariaux est moindre que ce que laisserait penser une simple comparaison en termes de salaires horaires. En effet, coût salarial unitaire = (par unité produite) donc coût salarial unitaire = Quand la productivité du travail augmente alors, selon Krugman, les salaires augmentent. Il appuie son analyse sur des exemples historiques : le salaire moyen au japon représentait 10% du salaire moyen américain il y a 30 ans, à une époque où le Japon avait des niveaux de productivité très faibles par rapport aux niveaux américains. Aujourd’hui, après la phase de rattrapage rapide, les niveaux moyens de salaires au Japon atteignent 110% des niveaux américains. Krugman insiste sur le fait que plus récemment on a observé la même convergence des salaires pour la Corée du Sud. L’argument consiste donc à dire que l’avantage en termes de bas salaires reflète une spécialisation dans certains biens incorporant peu de technologie et donc que dans les pays concernés, au début de leur phase d’industrialisation, les niveaux de productivité sont faibles et que si ces pays se développent et atteignent nos niveaux de développement et donc de productivité, alors les salaires convergeront automatiquement vers nos niveaux de salaires. L’argument de la concurrence abusive par les bas salaires reflèterait donc selon Krugman une méconnaissance des vertus du libre-échange fondé sur la spécialisation en fonction des avantages comparatifs. De plus, certaines études observent que en matière de délocalisations d’entreprises américaines, les bas salaires ne sont pas toujours le critère essentiel d’orientation des flux d’investissement, il existe d’autres critères comme la stabilité des prix, celle du taux de change, ou encore la stabilité politique. Les nouvelles formes de concurrence ne se font pas que par les prix, la compétitivité-prix n’est pas le seul élément explicatif et certains spécialistes du tiers monde évoquent un déclin de l’avantage par les coûts. ® les études empiriques concernant la France Les pays qui exportent plus chez nous, se développent grâce à cette stratégie de croissance par les exportations et du coup importent massivement les biens d’équipement dont ils ont besoin pour assurer leur développement. Les mêmes études mettent en évidence le fait que les pays en question ont des taux d’épargne élevés et que c’est le gage de taux d’investissement élevés, typiques des phases d’industrialisation rapides. Si l’on veut estimer les effets sur l’emploi de cette concurrence de certains pays du Sud, il faut examiner les effets croisés des importations et des exportations. C’est ce qu’ont fait différentes études empiriques : la plus connue est celle de Claude Vimont, qui est l’auteur de nombreux articles, puis d’un livre intitulé Concurrence internationale et balance en emplois. Son étude porte sur la période 1988-1995. La méthode utilisée est la suivante, par exemple pour l’année 1995 :
Claude Vimont trouve que le solde de la balance en emplois est positif pour 1993, 1994 et 1995 mais négatif entre 1988 et 1992. (le solde de la balance en emplois serait de –245000 en 1988 ; - 303000 en 1989 ; -319000 en 1990 ; - 219000 en 1991 ; - 87000 en 1992). Il précise ensuite ce qui se passe pour nos échanges avec les pays d’Asie du Sud-Est :
Enfin, il montre que les effets sur l’emploi varient selon les secteurs :
Une autre étude de Claude Vimont sur la France en 1991 montre que nos échanges avec le Sud ont permis la création de 106000 équivalents-emplois, mais grâce au tourisme. Si on ne raisonne que sur le solde manufacturier, le solde est négatif avec l’Asie du Sud-Est, surtout si on considère le solde d’emplois peu qualifiés. La méthode des équivalents-emplois a été critiquée parce qu’elle ne tient pas compte de trois choses :
® Ces études nourrissent l’idée que les véritables causes du chômage et du creusement des inégalités sont ailleurs. · C’est la thèse défendue par Krugman dans son dernier livre, intitulé, La mondialisation n’est pas coupable. Selon lui, les véritables causes du chômage et du développement des inégalités sont internes. Il souligne en particulier le fait que la baisse des rémunérations des moins qualifiés aux Etats-Unis vient tout simplement d’une tendance structurelle de l’économie américaine à avoir une demande de main-d'œuvre peu qualifiée de plus en plus faible. Pour lui, cette tendance s’explique par le progrès technique et n’a que peu à voir avec les échanges commerciaux avec les pays d’Asie. · les partisans de cette thèse (défendue en France par des économistes comme Daniel Cohen ou Jean-Paul Fitoussi) soulignent par ailleurs que les échanges avec les pays à bas salaires représentent une part faible de nos échanges et donc une part encore plus faible de notre PIB, même si leur place dans nos échanges a globalement doublé depuis 1979. En 1979, l’Asie en développement représente 7.5% des exportations mondiales et 7.7% des importations mondiales. Ces parts étaient respectivement de 14.7% et 15.4% en 1993. · Krugman souligne à plusieurs reprises que voir la raison du chômage dans cette mondialisation est directement lié à une vision des relations économiques internationales en termes de compétitivité, il dénonce ceux qui présente les échanges comme un eu à somme nulle où la tâche de chaque pays serait de gagner des parts de marché à l’exportation , au détriment des concurrents et où les importations sont un mal nécessaire, qu’il faut limiter le plus possible. Il dénonce ce qu’il appelle l’obsession de la compétitivité, de la guerre économique, qui sévit aux Etats-Unis.
® les études empiriques sur l’emploi Elles contestent parfois la validité des études empiriques déjà citées :
Ces analyses ont malgré tout une limite, c’est que la part des importations non substituables reste aujourd’hui assez faible, de l’ordre de 15% par exemple pour les Etats-Unis.
® les réponses aux arguments des optimistes
Pierre-Noël Giraud insiste sur le développement de la concurrence entre pays de vieille industrie, avec le développement d’échanges intra-branches et des échanges fondés moins sur une logique de complémentarité et plus une logique de concurrence, où il s’agit de gagner des parts de marché en étant plus compétitif que son voisin. Il insiste beaucoup sur le retour à une concurrence par les prix, qui entraîne la recherche de gains de productivité maximum. (Il explique que le temps est loin où les Etats-Unis aidaient l’Europe avec le plan Marshall, qu’en 1971, avec le premier déficit commercial américain de l’après-guerre, on assiste à une prise de conscience du fait que le Japon et l’Europe sont devenus des concurrents.) Dans ce contexte, toute hausse de salaire entraîne une baisse de la compétitivité-prix et il souligne la rupture avec ce qu’il appelle " les cercles vertueux de la croissance sociale démocrate auto-centrée (qui ressemblent beaucoup aux cercles vertueux du fordisme), où les partages des gains de productivité pouvait se faire de façon équilibrée, sans désavantager les salaires, il montre comment existaient aussi des " niches de productivité ", que les chefs d’entreprise pouvaient parfaitement ne pas pressurer les salariés, à partir du moment où tout le monde dans le pays faisait la même chose. Quand l’ouverture est forte et la concurrence des pays à bas salaires augmente, au contraire on traque ces niches de productivité (dont parlent aussi Fitoussi et Rosanvallon dans Le nouvel âge des inégalités). Giraud insiste sur le afit que cette recherche des gains de productivité s’est souvent traduite par une chasse aux sureffectifs. Il cite à ce sujet une étude américaine (Chevalier et Dure), qui porte sur 24 entreprises européennes ayant opéré des plans de restructuration. Cette étude aboutit au résultat suivant : il existe un lien direct entre le niveau des pertes annoncées pour es entreprises et le nombre d’emplois supprimés : le coefficient de proportionnalité est de 200 000F, c'est-à-dire que quand on annonce 100 millions de pertes par exemple, on observe la suppression de 500 postes (100 millions / 200000F). Or, 200000F c’est le coût moyen d’un salarié dans l’industrie européenne. Les suppressions de postes sont donc sensées ramener les comptes à l’équilibre et cela prouve a posteriori qu’il existait des niches de productivité importantes dans la phase précédente puisqu’on peut sans réduire la production licencier massivement. La concurrence avec les NPI implique aussi de maintenir sans arrêt l’écart technologique avec eux, or, il s’agit de pays qui ont une gamme technologique de plus en plus ouverte, l’image selon laquelle ils se cantonneraient dans des industries de main-d'œuvre est devenue fausse. On y observe une forte hausse de la qualification et du niveau de formation de la main-d'œuvre. L’idée défendue par Giraud c’est donc qu’il existe des pays à bas salaires mais à forte capacité technologique et que donc la concurrence avec eux nécessite une course encore plus rapide à l’innovation . dans ce sens, opposer le progrès technique comme cause interne du chômage à la mondialisation, qui serait une cause externe et peu influente, c’est établir une opposition factice. C’est parce qu’il y a mondialisation qu’on est contraint à l’innovation très rapide. Ces auteurs admettent le fait souligné par Krugman qu’à long terme la hausse des niveaux de productivité dans ces pays à forte capacité technologique va entraîner une hausse des salaires et donc un déclin de l’avantage par les coûts. Une fois le rattrapage effectué, une fois l’Asie arrivée au même niveau de développement technologique que les pays de vieille industrie, la concurrence ne se fera plus par les salaires. Mais ils nuancent les conclusions optimistes qu’on pourrait tirer de ce raisonnement à long terme : à court terme, le niveau des salaires est gagé sur la productivité moyenne de l’économie et donc le niveau des salaires dans les industries exportatrices, où la productivité est plus élevée que dans le reste de l’économie, est fonction de la productivité moyenne. Il y a donc un décalage à court terme entre les niveaux de productivité atteints dans ces industries exportatrices et la convergence des salaires vers des niveaux comparables aux niveaux européens. Jacques Adda (La mondialisation, 2 tomes dans la collection Repères) cite l’exemple de branches comme la sidérurgie, où les niveaux de productivité asiatiques ont rattrapé les niveaux européens sans que les salaires aient suivi, parce que les gains de productivité dans l’ensemble de l’économie sont plus lents. Il ajoute que le Japon a fait la même expérience depuis l’après-guerre avant de rattraper les niveaux européens de salaires. Adda répond aussi à un autre argument des " optimistes " au sujet de l’appréciation des taux de change : pour les optimistes le dumping monétaire, grâce à une sous-évaluation des monnaies, n’est possible qu’à court terme, parce que les pays qui le pratiquent engrangent des excédents commerciaux, qui vont provoquer à terme une appréciation du taux de change. Cette appréciation du taux de change permettrait d’ailleurs de diminuer l’avantage des bas salaires. Adda souligne le fait que malgré tout, il existe une manipulation des taux de change grâce à des politiques monétaires expansives et surtout des contrôles très stricts des mouvements de capitaux (il existe d’ailleurs des pressions très fortes de la part des Etats-Unis sur le Japon puis sur les autres pays pour libéraliser les mouvements de capitaux, c’est un des éléments qui peut expliquer le développement de la globalisation financière, et on a observé par la suite un début d’appréciation des monnaies de la région) Dernier argument, les auteurs sceptiques ajoutent que, même si le poids des importations en provenance de ces pays est encore faible, cela ne signifie pas que la pression en termes de compétitivité ne soit pas déjà forte : les entreprises peuvent adapter leur mode de gestion du personnel à cette nouvelle donne et les effets sur l’emploi sont donc peut-être plus importants que ne le laisserait penser la simple observation du poids des pays d’Asie dans les échanges.
On va voir comment ce renouvellement théorique aboutit à une remise en cause du modèle des avantages comparatifs, qui reste un référence, mais dont les conclusions sont nuancées, on verra en particulier comment les conclusions en matière de politique économique sont moins strictes concernant l’interdiction absolue de prendre des mesures protectionnistes. A. Les renouvellements de la théorie du commerce international Jusque dans les années 70, la théorie du commerce international est dominée par le modèle des avantages comparatifs : il y a échange parce qu’il y a diversité des technologies, des dotations factorielles. Cette théorie explique bien les échanges entre pays différents, mais elle rend moins bien compte du développement très marqué des échanges intra-branches. Les économistes ont alors cherché d’autres déterminants des échanges pour mieux expliquer ce développement rapide des échanges intra-branches et le fait stylisé suivant : 80% des échanges se font au sein de la triade, entre pays de niveaux de développement comparables.
® le développement des échanges intra-branches
GL = Interprétation Plus ce taux est proche de 100%, plus le taux de recouvrement est fort et plus les valeurs des exportations et des importations de la branche sont proches.
L’ampleur du phénomène varie donc selon les pays, il est très fort pour la France. Dans la plupart des pays, la tendance est à la hausse. Les pays moins industrialisés, comme l’Espagne ou la Grèce connaissent des taux d’intra-branche moins élevés, mais en hausse. La seule exception notable est le Japon : seulement ¼ de son commerce est intra-branche, ce résultat renvoie à sa politique de spécialisation sur certains produits. ® contestation des hypothèses du modèle des avantages comparatifs
Dès 1961, Linder soulignait l’importance du commerce intra-branche entre pays de niveaux de développement semblables. Il pensait que ce phénomène allait contre HOS. Il a expliqué à l’époque une explication en termes de " demande représentative " : les producteurs nationaux, produisent d’abord pour le marché intérieur, en fonction des préférences des consommateurs de leur pays, les exportations sont considérées comme la commercialisation d’un surplus par rapport à la consommation intérieure, c’est donc la demande représentative qui explique la spécialisation. C’est ce qui explique que des pays de même niveau de développement, qui ont des demandes représentatives proches, aient aussi des spécialisations proches. Lassuderie-Duchêne introduit la " demande de différence ", pour souligner le fait que le consommateur est sensible à l’élargissement de son éventail de choix et qu’il demande donc des produits étrangers assez similaires aux produits du marché intérieur. Dans ces deux analyses, la notion d’avantage comparatif disparaît.
La nouvelle théorie du commerce international se fixe comme objectif de mieux prendre en compte certaines réalités du monde contemporain. Elle se caractérise notamment par la prise en compte de l’existence de rendements croissants et elle rompt du coup avec l’image d’une spécialisation exogène, c'est-à-dire d’une spécialisation qui préexisterait à l’échange. Elle se situe dans la lignée d’analyses qui avaient déjà souligné le caractère endogène de la spécialisation, c'est-à-dire de la spécialisation comme conséquence de l’ouverture des échanges et non l’inverse. Dans cette perspective, on a une vision dynamique des avantages et de la spécialisation, comme résultat d’une construction. Dans cette approche, deux nations identiques (du point de vue de la dotation factorielle, du niveau technologique) peuvent avoir malgré tout intérêt à l’échange dans la cas où l’ouverture permet de concentrer les ressources dans les secteurs à rendements croissants : le développement des exportations dans les secteurs à rendements croissants, permet d’élargir l’échelle de production et donc de réduire les coûts unitaires de production, ce qui crée ex-post un avantage comparatif face au pays qui a renoncé à cette spécialisation pour une autre. Les spécialisations ne sont plus prédéterminées et ne reposent plus sur des critères objectifs, ce qui rend la spécialisation plus arbitraire. Ce que montrent d’ailleurs ces modèles, c’est qu’un des gains liés au libre-échange vient du fait que les pays peuvent consacrer plus de ressources à la R&D, puisque les coûts en sont plus facilement amortis, grâce à l’augmentation de l’échelle de production. C’est la thèse défendue notamment par Grosman et Helpman (1990) : ils repartent des analyses de Vernon et montrent que l’imitation des pays riches par les pays pauvres, une fois que le bien est banalisé, permet aux pays riches de consacrer leurs ressources à la production nouvelle, à forts rendements croissants, grâce à des dépenses élevées en R&D. D’où des conclusions très favorables au développement des échanges, ces modèles renforcent encore les conclusions du modèle des avantages comparatif en soulignant les effets positifs dynamiques à la spécialisation (et non plus seulement en statique). Ces analyses montrent par ailleurs que le développement des échanges permet d’augmenter la diversité des produits offerts aux consommateurs et c’est un des gains liés à l’ouverture des échanges. B. les prescriptions en matière de politique économique L’existence de ces rendements croissants et leur lien avec les spécialisations, repose la question de savoir quelles politiques commerciales les Etats doivent mener. Certains auteurs y ont vu en encouragement à mener des politiques protectionnistes de soutien aux industries à rendements croissants, au moins en menant des politiques commerciales volontaristes. Krugman prend l’exemple de la concurrence entre Boeing et Airbus et montre ce qui se passe si on suppose qu’entre les deux firmes la concurrence est de type monopolistique et qu’une seule firme peut réaliser des profits et que si les deux firmes sont sur le marché elles réalisent nécessairement toutes les deux des pertes. Il examine les effets, dans ce cas, d’une subvention des pays européens en faveur d’Airbus, sur la décision des deux firmes. Il représente son analyse sous forme de matrices de décision :
Avec dans chaque case (gains pour Boeing ; gains pour Airbus) Si les Européens s’engagent à subventionner Airbus dans le cas où il prend la décision de produire, en lui versant 10, cela change la matrice de décision :
Dans ce cas, Boeing est incité à renoncer à produire, parce qu’il anticipe le fait qu4airbus va rester sur le marché. Une simple subvention de 10 va permettre aux Européens d’obtenir le monopole sur le marché et d’en tirer les surprofits liés au monopole. C’est un cas où une mesure protectionniste accroît le bien- être général dans le pays qui adopte cette mesure. Ces raisonnements sur les bénéfices pour la collectivité de subventions liées aux politiques commerciales sont très populaires dans certains milieux d’affaires, aux Etats-Unis notamment. On va voir comment en fait les théoriciens des nouvelles théories du commerce international ont des conclusions très favorables en définitive au libre-échange et un peu floues concernant les politiques protectionnistes. Ce qui est certain, c’est qu’elles représentent un encouragement pour les Etats à mener des politiques volontaristes en matière de spécialisation. Krugman et les autres restent très prudents sur les politiques à mener. Les résultats des différents modèles sur les avantages de telle ou telle mesure sont assez incertains. Ils soulignent plusieurs choses :
Bilan : ils prônent moins le libre-jeu des marchés que dans la théorie des avantages comparatifs mais ils ont des conclusions nuancées et assez prudentes en matière d’intervention de l’Etat pour les politiques commerciales. Ce qui est certain c’est que ces théories ne peuvent pas servir à appuyer un plaidoyer en faveur d’un retour au protectionnisme.
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