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DANS SON LIVRE THE KEYNESIAN REVOLUTION (1ère édition 1949) L.R. KLEIN SITUE TOUTE L’ŒUVRE ANTERIEURE A LA THEORIE GENERALE SOUS LE TITRE UNIQUE : « KEYNES COMME ECONOMISTE CLASSIQUE ». DANS QUELLE MESURE SES ECRITS NE MONTRENT-ILS PAS DEJA LES PREMICES D’UNE PENSEE RADICALE ? En 1901, J.M. Keynes, après l’obtention d’une bourse pour le King’s College de Cambridge, commence par étudier les mathématiques. Plus tard, il suivra les cours des deux plus grands économistes de l’époque : A. Marshall et A.C. Pigou. J.M. Keynes est un élève brillant même s’il n’est pas premier en économie e fréquente assidûment le milieu intellectuel, il fait partie de nombreux cercles et clubs de débats et notamment : « University Union Society ». Au contact du philosophe G.E. Moore, il rentre dans une organisation secrète : la société des Apôtres. En 1906, il passe le concours du Civil Service et intègre l’India office pour y rester deux années. J.M. Keynes commence à cette date à s’intéresser fortement à la théorie économique mais aussi à sa mise en œuvre pratique. Dans la revue l’Economic Journal, il fait paraître son point de vue sur l’économie de l’Inde et rédige son premier livre qu’il publiera en 1913, Indian Currency and Finance, (La monnaie et les finances de l’Inde). L.R.
Klein, dans The Keneysian Revolution (1949),
situe la coupure de Keynes et l’économie classique avec la publication
de son œuvre majeure : La théorie générale de l’emploi,
de l’lintérêt et de la monnaie en 1936. Les nombreux écrits
antérieurs se partagent entre des livres théoriques comme par
exemple : la théorie de la probabilité
(1921) et des ouvrages commentant l’actualité du moment comme :
Les conséquences économiques de la paix. S’interroger
sur les prémices, c’est essayer de comprendre, de découvrir les
« premiers fruits ». Dans les premiers ouvrages de keynes,
n’y a-t-il pas une volonté de dépasser le cadre, trop restreint
pour lui, de la théorie classique pour l’englober dans un ensemble
plus vaste ? peut-on dire que la pensée de Keynes est « radicale » ?
Certains exégètes de la pensée keynésienne comme L. Orio et J.-J.
Quiles voient dans l’économie keynésienne un « projet radical ».
l’adjectif radical est à comprendre dans le sens où il s’attaque
à modifier sa pensée dans ses causes les plus profondes. Peut-on
avoir ex abrupto une « pensée radicale » ?
N’est-elle pas plutôt l’aboutissement d’une série de « tâtonnements »
comme le commissaire-priseur cher à L. Walras qui modifie le prix
de l’offre en fonction des demandes qu’il reçoit ? Nous
essayerons à partir des ouvrages de keynes de déceler les « prémices
d’une pensée radicale » dans son analyse synchronique des
problèmes économiques. Nous aborderons ensuite une analyse de
ses écrits théoriques où la distance est prise avec l’actualité
du moment. L’analyse
de Keynes est reliée aux problèmes économiques de son temps. Sa première
expérience professionnelle le conduit à écrire son premier livre. Keynes
passe en 1906, le concours de la fonction publique. Sa
seconde place ne lui permet pas de rentrer au Trésor, il
choisit donc le ministère de l’Inde où il y reste deux
années. De retour à Cambridge pour terminer sa thèse sur
les probabilités, fort de sa nouvelle expérience, il se
passionne pour l’économie à la grande joie de ses deux professeurs :
Marshall et Pigou. Il commence
à rédiger des articles pour la revue l’Economic Journal
dont il deviendra vite le rédacteur en chef. En 1912, il rédige
son premier livre qui paraîtra en juin 1913 : La monnaie
et les finances de l’Inde. J.M. Keynes
est contre l’étalon-or pour l’Inde. Comme l’écrit Frédéric
Poulon dans les écrits de keynes (85), Keynes devra
faire face sur trois fronts : « la guerre, la crise, l’or ».
L’Inde possède depuis la fin du XIXe siècle un système d’étalon
de change-or mais les experts et responsables indiens souhaitent
instaurer l’étalon-or. Après l’abandon du mono-métallisme argent
en 1893, le gouvernement indien rattache la roupie à l’or.
L’Inde entretient avec la Grande-Bretagne de fortes relations
commerciales. La Grande-Bretagne achète des produits indiens,
ce qui transfère des sterlings en Inde pour régler le solde de
la balance des marchandises. La Grande-Bretagne achète
des produits indiens, ce qui transfère des sterlings en
Inde pour régler le solde de la balance des marchandises. La Grande-Bretagne
possède l’étalon-or et de nombreux pays voudraient imiter la puissance
britannique et favoriser la circulation interne d’une monnaie
d’or. Keynes constate que les Indiens ont une
forte propension à thésauriser, l’or en particulier, et
s’oppose fermement au retour à l’étalon-or en Inde. Il sait convaincre
les membres de la commission Chamberlain.
Il propose aussi de réformer le système monétaire indien en instaurant
une nouvelle gestion des réserves et la création d’une banque
centrale. Mais cette dernière ne vit le jour qu’en 1934. Comme le
remarque R. Ferrandier dans
un chapitre « l’étalon-or en Inde : une absurde fascination »
in Les écrits de Keynes (dir.
F. Poulon), Keynes fait preuve d’un « réformisme
éclairé », d’une « connaissance concrète des phénomènes
étudiés » et aussi une volonté de réformer le système. Peut-on
déceler déjà les prémices d’une pensée radicale ? Il est
peut-être trop tôt pour le dire. La théorie quantitative
de la monnaie reste en arrière-plan. Néanmoins le système monétaire
indien a gardé l’étalon de change-or. On connaît par la suite
l’énorme travail de Keynes dans les années quarante pour rétablir
le système monétaire international. Si la pensée de Keynes
n’est pas encore totalement « radicale », elle est très
« pragmatique ». La Première
Guerre mondiale a transformé l’économie mondiale. Dans La fin du laissez-faire (1926)
repris dans Les Essais sur la monnaie et l’économie, Les
cris de Cassandre (1971), J.M. Keynes termine son chapitre
par cette phrase : « Il manque à l’Europe les moyens,
et à l’Amérique la volonté ». Keynes comprend que les économies
européennes ne sortent pas de la Première Guerre mondiale sans
dommages. L’Europe manque de « moyens », l’Amérique
sait-elle s’imposer ? Dans deux ouvrages historiques :
Les conséquences économiques de la paix (1919) et La
Révision du traité (1922), Keynes pourfend ceux qui exigent
une « paix carthaginoise » et modère le montant des
réparations demandé à l’Allemagne. On ne pouvait pas, selon
Keynes, obliger l’Allemagne à payer un lourd tribut d’une part
et d’autre part l’affaiblir économiquement en lui ôtant une partie
de ses biens. Keynes avant les résultats de la Commission des Réparations qui fait suite au Traité de Versailles de 1919, donne son estimation du montant des réparations entre 6,4 et 8,8 milliards de livres, ce qui le conduit à écrire : La révision du traité (1922) où il demande une réévaluation du montant des dommages. Le plan Young en 1929, réduit cette dette à 8 milliards de dollars. Une relation tripartiste s’installe entre les Etats-Unis, l’Allemagne et les pays d’Europe où l’or prêté par les Américains aux Allemands permet à l’Allemagne de payer ses réparations. C’est la grande dépression qui stoppe ce mouvement circulaire. Keynes, pendant cette période se pose une
question théorique sur les capacités de transfert d’un pays à
l’étranger. Pour lui, c’est le surplus exportable de marchandises
qui permettra de payer la dette envers les Alliés. Il s’en suivit
une controverse avec B.
Ohlin. Pour Keynes, cité par F. Poulon dans
son chapitre « La paix carthaginoise » (op cit) il existe
un « niveau naturel d’exportation ». Pour B.
Ohlin, il existe un transfert de pouvoir d’achat, celui
qui prête diminue son pouvoir d’achat, celui qui emprunte l’augmente
et n’améliore pas sa balance commerciale. Pour lui, il faut arrêter
les prêts à l’Allemagne, no des prix, mais du pouvoir d’achat ».
Keynes s’interroge sur les revenus, ces facteurs de production. J. Rueff
en 1929, soutient B. Ohlin et prévoit un « ajustement automatique »
des balances commerciales aux mouvements de capitaux »
comme dans la théorie classique. Keynes semble clore le débat,
ce n’est que plus tard et notamment dans le Traité de la monnaie
et la Théorie générale qu’il développera ses idées sur
la capacité de « transfert élargi ». Keynes, praticien
de l’économie réfléchit aussi à la théorie économique. La controverse
avec B. Ohlin ne montre pas une pensée « radicale »
mais le souci d’une économie sociale. Patinkin
cité par M. Herland dans :
Keynes et la macroéconomie
(1991) parle de Keynes comme « la saga de l’homme en lutte
pour s’affranchir de la théorie quantitative ». En 1923,
Keynes publie l’Essai sur la réforme monétaire où il essaie
d’expliquer le problème de la convertibilité des monnaies.
Keynes s’appuie sur la théorie quantitative de la monnaie
dans la version de Cambridge et sur la théorie de la parité
des pouvoirs d’achat. Avant la Première Guerre mondiale, depuis
le XIXe siècle, le système monétaire international est
basé sur l’étalon-or et le bimétallisme. Les parités
des monnaies sont fixées par rapport à l’or et l’or sert de monnaie
internationale. Après la guerre, les pays rentrent dans une période
de désordre monétaire, le stock d’or est désormais aux
Etats-Unis, les pays européens en particulier sont obligés d’imposer
la circulation interne du billet de banque. Pour les échanges
internationaux, la question se pose de trouver la juste convertibilité
des monnaies. Dans l’Essai sur la réforme monétaire,
Keynes reprend une série d’articles publiés dans les suppléments
du Manchester Guardian. Il expose la théorie quantitative
de la monnaie, issue des travaux de ses deux professeurs de Cambridge :
Marshall et Pigou et de leur approche par les encaisses.
Il montre que la masse monétaire mesurée en unités de monnaie
varie proportionnellement au prix des biens de consommation à
long terme. Il écrit notamment à cette occasion sa célèbre phrase :
« à long terme nous serons tous morts ». Pour lui,
il faut uniquement prendre en compte le court terme. A long terme,
la monnaie est « neutre ». C’est dans le court terme
que les variations de la masse monétaire peuvent modifier les
variables réelles de l’économie. Néanmoins la théorie de l’inflation
de Keynes, comme l’écrit M. Herland, « demeure très incomplète ». Keynes s’intéresse aussi à la théorie de
la parité du pouvoir d’achat qui détermine le taux normal
des changes. Comme l’écrit B.
Vallageas (op cit) : « deux monnaies s’échangent
à un cours tel que leurs pouvoirs d’achat sont au pair ? ».
Le taux des changes se rééquilibre en fonction des prix de manière
à rétablir la parité des pouvoirs d’achat. Avec l’étalon-or, ce
sont les réserves d’or qui permettent de rétablir la parité des
pouvoirs d’achat. Sans l’étalon-or, l’offre et la demande
rééquilibre le système. Keynes conclut que la politique économique
des gouvernements en jouant sur le taux d’escompte permettra de
modifier les prix, de rétablir le cours normal de change. Sa vision
n’est certes pas « radicale » puisqu’elle s’appuie sur
la théorie quantitative et sur l’analyse wicksellienne du taux
de l’escompte. Dans l’Essai sur la réforme monétaire
(1923), J.M. Keynes n’abandonne pas complètement la théorie dominante,
dans le Traité de la monnaie (1930), il subit toujours
l’influence de Wicksell et
à Cambridge de D. Robertson.
Pour certains économistes contemporains le Traité de la monnaie
préfigure son ouvrage le plus connu : la Théorie générale.
Comme le souligne M. Herland le Traité développe la notion
keynésienne de la « préférence pour la liquidité ».
Dans le Traité, l’ensemble des problèmes monétaires est
étudié d’un point de vue historique et institutionnel. L’inflation
n’est pas d’origine monétaire mais provient d’un déséquilibre
dans la production. Keynes écrit notamment, cité par J.-J.
Friboulet dans les Ecrits de Keynes : « L’inflation
signifie que le flux de la dépense en biens de consommation s’accroît
plus vite que les flux de biens disponibles pour cet achat ».
Pour Keynes aussi, la hausse des prix est un excès de l’investissement
sur l’épargne. Keynes dans les chapitres deux et trois du
Traité, développe une théorie des dépôts bancaires,
il en conclut que la monnaie ne peut jamais exister « par
elle-même ». Les banques créent en même temps les dépôts
et les ressources. Keynes adopte une nouvelle vision du pouvoir
d’achat de la monnaie. Pour lui, « le pouvoir d’achat est
inhérent à la liquidité ». Il ne résulte pas d’un échange
avec les marchandises ». Dans le Traité de la monnaie, la rupture
avec l’école néo-classique se fait avec la définition du
taux d’intérêt. Pour les Néo-classiques, le taux d’intérêt
est une grandeur réelle et exprime un rapport d’échange entre
biens productifs et biens de consommation. Pour Keynes, le taux
d’intérêt est une valeur purement financière. Il résulte d’une
confrontation entre offre et demande individuelle d’épargne. J.
Denizet dans Les Ecrits de Keynes appuie cette thèse. Par
contre M. Herland dans son livre : Keynes et la macroéconomie,
trouve que le Traité « demeure une construction
très néo-classique, ne serait-ce que par l’accent qui est mis
sur les prix ». Dans le Traité de la monnaie fortement
critiqué par des disciples de Keynes dont notamment : R.
Kahn, J. Meade, J. Robinson, et P Sraffa, Keynes avance maintenant
plus fortement dans une conception théorique de l’économie qui
débouchera sur son œuvre majeure : La Théorie générale. Dans La monnaie et les finances de l’Inde,
son premier livre publié, Keynes s’oppose à la restauration de
l’étalon-or dans ce pays. En proposant la création d’une banque
centrale pour l’Inde qui fédérerait les grandes
banques régionales, Keynes fait preuve d’une pensée « radicale »
dans la mesure où elle modifie au plus profond un système déjà
installé. Keynes dans La révision du traité fait preuve d’une pensée « pragmatique ». Keynes a toujours voulu développer sa pensée, pas d’une façon indépendante mais à « lintérieur de la citadelle ». Comme l’écrit O. Favereau dans un article : « De l’économie conventionnelle à l’économie des conventions » in Cahier d’économie politique, Keynes souhaite trouver « la faille dans l’orthodoxie ». Dans le Traité
de la monnaie, malgré l’influence de Wicksell, en développant
la notion de la « préférence pour la liquidité », Keynes
fait preuve d’une pensée « radicale », de même que dans
sa définition du taux d’intérêt. Les prémices de la pensée keynésienne
« radicale » sont dans les ouvrages théoriques par rapport
aux livres et pamphlets écrits en fonction de la conjoncture.
Ils seront développés dans son œuvre majeure : La théorie
générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. |
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