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« Keynes,
c’est le Freud de l’économie », écrit M.
Albert en 1982, dans son livre : Le Pari français.
Cette comparaison doit être comprise comme la volonté d’un homme
de proposer une vision nouvelle de la théorie économique. M.
Albert parle de « transgression radicale ».
L’émergence du « projet radical » keynésien, comme l’a
souligné O. Favereau, n’est
peut-être pas très visible dans ses premiers livres mais est clairement
défini dans l’introduction de la Théorie générale où la théorie
classique devient un »cas particulier » de la théorie
générale. Keynes praticien
et théoricien de l’économie écrit de nombreux livres et notamment
en 1926, un ouvrage intitulé : La fin du laissez-faire
où il décrit une économie mondiale en pleine mutation, c’est la
fin de la suprématie de la Grande-Bretagne due en partie
à l’échec du retour à l’étalon-or dans les années vingt et
l’émergence de la puissance dominante : les Etats-Unis. L’Europe est affaiblie
et notamment l’Allemagne qui doit payer de lourdes réparations
aux Alliés après sa défaite en 1918. Le chômage augmente
en Grande-Bretagne, c’est l’époque du krach de Wall Street
en octobre 1929. John Maynard Keynes
s’interroge sur la doctrine dominante, est-elle suffisante pour
expliquer le fort taux de chômage de l’époque. Le paradigme néoclassique
développe par Jevons, Menger et Walras
propose une théorie de la valeur et de la répartition fondée
sur l’utilité. Elle décrit des marchés en situation d’équilibre
où l’ajustement se fait par un mouvement de prix.
Le crieur ou le secrétaire de marché de walras par tâtonnement, coordonne, ajuste l’offre et la demande
pour trouver l’équilibre. Les marchés sont interdépendants, c’est
une économie réelle d’échange. Keynes propose, pour reprendre les
propos d’Alain Barrère, dans
son livre : Macroéconomie keynésienne, le projet de
J.M. Keynes en 1990, une « économie monétaire de production ». Keynes développe
une théorie en analysant les flux monétaires et les anticipations. S’oppose à la théorie dominante, à la « doctrine
du laissez-faire » qui est basée sur le libéralisme,
sur la volonté de laisser les marchés s’ajuster d’eux-mêmes par
la seule flexibilité des prix sans l’intervention de l’Etat.
Pour les néoclassiques, le taux d’intérêt détermine le montant
de l’épargne qui détermine les volumes de l’investissement. C’est
une analyse statique de l’économie. Keynes propose une analyse dynamique
de l’économie où sa théorie est une alternative à la politique du
« laissez-faire », « laissez-passer » et à la
planification socialiste qu’il dénonce. Sa théorie économique, sans
répéter totalement les postulats de l’économie classique, développe
une analyse propre. Les outils de Keynes permettent d’expliquer
le chômage des années vingt et trente, sont-ils suffisants pour
expliquer le chômage d’aujourd’hui dans les pays occidentaux ? Keynes fait une
différence entre chômage volontaire et involontaire. Le chômage
volontaire est une période où l’individu est sans emploi et désire
prolonger sa durée de chômage, tant que son salaire de réservation
sera supérieur au niveau du salaire pratiqué sur le marché. Le chômage
involontaire est, comme le note O. Favereau,
un chômage « malgré soi ». Le
chômage actuel est un phénomène pluriel qui a des causes diverses.
La théorie keynésienne permet-elle de l’expliquer dans sa totalité ?
Est-elle transposable à la situation conjoncturelle actuelle ? Tout d’abord, nous
détaillerons les « bases historiques de la doctrine du laissez-faire ».
L’économie classique s’appuie sur la loi de J.B
Say, nous verrons comment s’organise l’organisation des
marchés dans le cadre de l’économie néoclassique. Nous examinerons
le « projet » de Keynes qui passe d’une économie réelle
d’échange à une économie monétaire de production où la demande effective
joue un rôle très important. Nous nous attacherons ensuite à l’aide
des outils keynésiens, à l’explication du chômage actuel. Les différentes
écoles qui se réclament de Keynes apportent des éléments de réponse
aux causes du chômage. Dans son traité
d’économie politique, J.B Say écrit sa célèbre loi : « l’offre
crée sa propre demande ». Les produits s’échangent contre des
produits, la monnaie n’est qu’un « voile »,
elle est neutre. L’offre rencontre une demande sur un marché qui
est en dépendance mutuelle avec tous les autres. C’est un modèle
où la surproduction n’existe pas. Sur le marché du travail, une
baisse de salaire permet l’ajustement pour retrouver le plein
emploi. Le travail est un bien qui s’échange comme tous les autres,
ce sont les prix des biens et des services qui permettent par leurs
mouvements de baisse ou de hausse de retrouver l’équilibre. Les
marchés sont interdépendants. Quand Keynes écrit que le taux
d’intérêt et l’investissement « se fixent d’eux-mêmes aux chiffres
optima », il décrit la « mécanique » néoclassique
qui s’opère sur les différents marchés où par exemple une baisse
du taux de salaire réel permet de retrouver une situation de plein-emploi.
L’ajustement se fait par la flexibilité des prix sur les différents
marchés. La Grande-Bretagne
des années vingt connaît un fort chômage. Les syndicats s’opposent
à la théorie dominante qui prône une baisse des salaires nominaux.
Les entrepreneurs souhaitent la baisse des salaires. Les syndicats
obtiennent une baisse qui est moindre que celle des prix. Keynes
propose un projet « pragmatique » pour reprendre le terme
employé par O. Favereau pour lutter contre le chômage massif. Son
projet se situe non plus dans une économie réelle d’échange mais
dans une économie monétaire de production. Dans son premier
ouvrage théorique : Le traité de la probabilité en 1921,
Keynes s’intéresse à deux concepts que l’on retrouvera dans tous
ses ouvrages théoriques : l’incertitude et les anticipations.
Dans le Traité de la monnaie en 1930, il montre que les ajustements
économiques ne peuvent être uniquement expliqués par des mouvements
de prix dans le cadre d’une monnaie passive. Pour lui, les mouvements
sont globaux. Dans la Théorie générale, Keynes développe
ses principaux concepts et notamment : les anticipations des
entrepreneurs, la non-neutralité de la monnaie, le caractère monétaire
du taux d’intérêt, le multiplicateur d’investissement, et
l’importance de la demande globale dans la formation du volume de
l’emploi. Pour Keynes, la
demande effective fixe le volume de la production et de l’emploi
indépendamment du taux de salaire. La demande effective est la rencontre
entre l’offre et la demande globales. Les entrepreneurs font des
anticipations sur leurs ventes futures, ils calculent une anticipation
de leurs recettes, c’est la demande effective qui correspond à la
quantité de produit offerte sur le marché et achetée par les agents
grâce au revenu versé par les entrepreneurs. Pour Keynes, le sous-emploi
se manifeste quand l’anticipation de la demande est insuffisante.
Pour Keynes, le chômage est involontaire. Keynes ne s’inscrit
plus dans un paradigme de marché où les relations sont interdépendantes
mais dans un paradigme où les relations sont causales.
Pour Keynes, c’est en jouant sur le volume de l’investissement
que l’on retrouvera le plein-emploi. Il écrit notamment cette phrase :
« on ne peut restaurer l’emploi sans restaurer le niveau des
profits… et le niveau des profits sans restaurer le volume de l’investissement »,
dans le Harris Lecteurs, qui
furent une série de conférences destinées à expliquer la théorie
générale. Le chômage que connaissent les pays européens est-il dû
à un manque d’investissement ? Les entreprises font-elles suffisamment
de profit pour embaucher ? E.
Phelps dans la Revue française d’économie en 1990,
analyse le chômage des vingt dernières années. Pour lui, le chômage
actuel est peut-être dû à un phénomène d’hystérésis. Le chômage
« dure parce qu’il… dure ». Il développe une théorie structuraliste qui souhaite « endogénéiser »
le taux naturel du chômage. Pour O. Favereau ?
le chômage est peut-être dû à l’irréversibilité du capital physique
en comparaison avec la réversibilité du capital financier. Les entrepreneurs
anticipant à la baisse leurs recettes futures vont accroître leurs
capacités productives. S’appuyant sur la théorie du multiplicateur
keynésien qui montre qu’une augmentation de l’investissement provoque
une augmentation du k (k étant le multiplicateur) fois le
revenu, si les entrepreneurs n’investissent pas, le revenu distribué
sera moindre, la demande des ménages baissera, entraînant ainsi
l’économie dans un cercle vicieux où le taux de chômage sera fort.
La demande effective qui correspond à l’offre des entrepreneurs
sera aussi revue à la baisse entraînant comme dans le raisonnement
de Keynes une montée du chômage involontaire. Pour O. Favereau,
le capital financier est réversible, c’est-à-dire que les
offreurs et demandeurs sur ce marché peuvent plus facilement se
retirer ou s’insérer sur ce marché. Cette réversibilité explique
l’engouement pour les placements financiers. O. Favereau constate
l’absence de marché d’occasion pour les biens d’investissement ce
qui conduit à une décision d’investir qui est « irrévocable ».
Doutant du futur,
l’entrepreneur, malgré « les esprits animaux », c’est-à-dire
son audace, son goût du risque, n’investit pas ce qui peut conduire
à une explication du chômage. J.
Cartelier, souligne aussi dans le raisonnement keynésien
l’incomplétude des marchés, la non-existence de certains
marchés, ce qui peut renforcer le rôle prépondérant dans nos économie
du marché financier qui lui ne crée pas d’emplois. Les économies européennes
sont fortement impliquées dans le fonctionnement de l’économie mondiale.
Le développement de la sphère financière n’est pas sans rapport
avec les forts taux de chômage que connaissent nos économies. Plus
de 11 % de la population active en France, plus de 9 %en Grande-Bretagne,
plus de 18 % en Espagne. Les gouvernements français et allemand
proposent des plans de relance de l’activité économique pour essayer
de lutter contre le chômage. La baisse du taux
sur le livret A de la Caisse
d’Epargne nous montre l’exemple d’un raisonnement keynésien où l’Etat
souhaite relancer la consommation et minimiser l’épargne des ménages.
Keynes a montré que ce sont les ménages qui ont de faibles revenus
qui ont tendance à consommer proportionnellement plus. La baisse
des taux d’intérêt est l’exemple aussi d’un raisonnement keynésien
où les entreprises n’investissent que si leur taux de profit ou
taux de rendement interne ou l’efficacité marginale du capital
chez Keynes sont supérieurs aux taux d’intérêt. Dans ce sens, le
chômage n’est pas expliqué par des effets propres ou structurels
mais plutôt par une absence de consommation et d’investissement
même s’il existe toujours un chômage structurel ou « frictionnel »
dans une économie. les différentes écoles qui se réclament de Keynes font
des analyses différentes sur le chômage. Les Post-keynésiens
et en particulier S. Weintraub,
s’appuie surtout sur le chapitre III de la Théorie générale,
« le principe de la demande effective ». S. Weintraub décrit comme Keynes
une situation d’équilibre de sous-emploi. Le chômage durable s’explique
par l’insuffisance de la demande effective. Les entrepreneurs ont
de faibles anticipations, ils escomptent une recette plus faible,
distribuent ainsi moins de revenu aux salariés qui dépensent moins
et le chômage reste fort. Ce modèle s’inscrit dans la
courte période. Le volume de l’emploi dépend du volume de l’offre
qui dépend de la demande effective. Ce modèle s’oppose au modèle
néoclassique où l’ajustement se fait par la flexibilité des prix.
Dans ce modèle les prix sont fixes à court terme. Les salariés ne
connaissent pas les prix d’équilibre, ils négocient leur contrat
de travail sur des prix nominaux. S. Weintraub s’inspire
des raisonnements de Keynes pour expliquer le chômage dans les pays
occidentaux. Les entrepreneurs prévoyant
une baisse de rentabilité d’investissements auront tendance à réduire
leur embauche augmentant ainsi le chômage. Le chômage keynésien
s’oppose aussi, même s’il s’en inspire au chômage de l’Ecole
du déséquilibre appelé par A.
Barrère, le chômage de « rationnement ». Dans La
fin du laissez-faire, en 1926, Keynes décrit les mutations de l’économie
mondiale. La hiérarchie des nations change, les Etats-Unis prennent
la première place sur le plan économique. Si dans ce livre il se
situe comme un observateur éclairé de l’économie mondiale, dans
son ouvrage majeur : la Théorie générale de l’emploi de
l’intérêt et de la monnaie, il se place comme un théoricien
de l’économie voulant faire de l’économie classique, un « cas
particulier » de la théorie générale. Il note que l’économie
n’est plus une économie réelle d’échange où les marchés sont interdépendants
mais une économie monétaire de production où les relations sont
causales et hiérarchiques. Certains économistes contemporains avec
notamment en France, l’Ecole du circuit, développent ce point
de vue. La « doctrine du laissez-faire » qui prend ses
bases sur la théorie néoclassique est insuffisante pour expliquer
le chômage de l’époque. Keynes développe son raisonnement à partir
d’un équilibre de sous-emploi qui est dû à l’insuffisance de la
demande effective. Les entrepreneurs font des anticipations sur
leurs recettes escomptées, cette demande prévisionnelle déterminera
leur offre. Le chômage actuel en Europe peut être en partie expliqué
par le raisonnement keynésien. Le chômage
est en grande partie un chômage involontaire, l’absence
ou le peu d’investissement ne permettent pas d’embaucher les chômeurs,
la faiblesse de la consommation et la forte épargne dans nos économies (+ de 14
% en France en 1995), ne stimulent pas les ventes. Mais le
chômage a d’autres facettes, c’est aussi un chômage « frictionnel »,
qui est dû au manque de qualifications. Il y a aussi des
phénomènes d’hystérésis notés par E. Phelps qui font que le chômage
reste élevé même si l’activité économique reprend. |
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