L’articulation
famille/travail a-t-elle changé pour les hommes et pour les femmes ?
L’emploi féminin continue de croître de nos jours. Peu
nombreuses étaient celles qui se consacraient uniquement à leur travail
après la Seconde guerre mondiale.
Les femmes, la plupart du temps, alternaient des périodes d’activité professionnelle et du travail à la maison
pour s’occuper de leurs enfants. De nos jours, outre la volonté
d’égalité revendiquée dans de nombreux domaines, elles rivalisent
avec les
hommes sur le marché de l’emploi. Malheureusement pour elles, en période
de crise économique et avec un fort taux de chômage, les difficultés
demeurent pour trouver un emploi.
Pourtant elles sont actuellement 11,5 millions à travailler et ces chiffres
sont en augmentation, notamment par rapport à l’emploi masculin qui
stagne. M. Maruani dans un article
du Monde diplomatique, en septembre 1997, s’interroge sur la
place des femmes dans notre société, surtout en période de difficultés
économiques. Un fort taux de chômage ne légitime-t-il pas différentes
inégalités et notamment l’idée que les femmes pourraient « retourner
dans leur foyer » pour laisser la place aux hommes. Dans
ces conditions comment peut-on penser l’évolution de l’articulation
famille/travail ? Les schèmes de pensées ont-ils évolué ?
Les valeurs culturelles de la femme à la maison et l’homme au travail
ne sont-ils pas toujours présents dans les esprits ? Le « sur-chômage »
des femmes ne montre -t-il pas le peu d’évolution dans ce domaine ?
La multiplicité des contrats d’embauche (intérim, CDD, temps partiel,…),
n’est-elle pas corrélative à une certaine précarisation ?
Pour répondre à ces questions, nous nous interrogerons sur
les données démographiques de la population active, en faisant
des comparaisons hommes/femmes pour nous intéresser ensuite à différentes
variables qui peuvent influencer l’articulation famille/travail dont
notamment le niveau de diplôme.
De 1982 à 1990, la population active française compte
150 000 femmes supplémentaires sur le marché du travail. Comme
le remarquent Danielle Guillemot et Olivier
Marchand, dans un article d’Economie et statistique
de 1993, « 1982-1990 :La population active continue à croître »,
les femmes sont toujours contraintes d’obtenir un diplôme le
plus élevé possible pour s’imposer dans le marché du travail. Le taux
de scolarité est supérieur ou égal à celui des hommes avant l’âge de
23 ans. La proportion des femmes la plus importante dans les catégories
socioprofessionnelles, en 1982 et 1990, (dates des deux recensements),
est pour les employés, notamment pour le personnel des services
directs aux particuliers. On
remarque toujours un clivage entre les hommes et les femmes entre
les différentes catégories. Néanmoins la population active féminine
augmente entre les deux recensements de plus de 1,8 millions, se répartissant
entre une croissance de l’emploi de 1,3 million et une croissance du
chômage de 550 000 personnes.
Les
auteurs de l’article remarquent que depuis 1982 en particulier des femmes
ont toujours eu un taux d’activité élevé. L’articulation famille/travail
serait donc toujours la même pour les femmes et pour les hommes. D’autant
plus que les variables comme la situation familiale, l’âge, le milieu
social ou le lieu de résidence, influencent peu le taux d’activité des
femmes..
Cependant
on peut remarquer des différences. Les femmes sans conjoint sont pratiquement
aussi actives que les hommes, avec une légère diminution du taux d’activité
quand elles sont en couple sans enfant ou avec un enfant. Pour les mères
de famille avec deux ou trois enfants, on remarque des reprises d’activité
en augmentation constante avec la moitié des mères en activité. L’autre
moitié des mères restant à la maison pour élever les enfants. La filiation
est une variable discriminante entre les hommes et les femmes. Même
si on observe des taux d’activité en constante augmentation, force est
de constater que la moitié des mères de deux ou trois enfants ne travaillent
plus. L’articulation famille/travail pour les hommes et pour les femmes
a évolué vers une plus grande participation des femmes au monde du travail
mais elle n’est pas égalitaire. On note aussi des différences régionales
qui tendent néanmoins à se rapprocher avec par exemple, pour la région
Ile de France un fort taux d’activité féminine (dépendance des femmes
des moyens de garde d’enfants plus importante en Ile de France).
Cette
articulation famille /travail en fonction du sexe peut être
étudiée aussi en fonction de l’âge. A 54 ans, le taux d’activité masculin
est toujours très élevé, de l’ordre de 88 % par contre il chute beaucoup
pour les femmes, il est de 59 %. On voit par là que l’activité féminine
est plus intense aux âges « centraux »
de l’existence. En début de carrière, les jeunes femmes doivent « pousser »
plus loin leurs études et elles prennent ou sont contraintes de prendre
leur retraite plus tôt. Les dispositifs incitant aux cessations anticipées
d’activité sont proposées aux hommes et aux femmes. Ces dernières peuvent
bénéficier d’avantages supplémentaires en fonction du nombre d’enfants
qu’elles ont eu, notamment pour les femmes fonctionnaires. Comme l’écrivent
Guillemot et O. Marchand, en général,
pour les femmes : « Ce sont les contraintes économiques
qui déterminent ce prolongement de l'activité ». L’exemple
des familles monoparentales montre l’obligation pour les femmes
de prolonger leur activité professionnelle, même parfois au delà de
l’âge légal. L’articulation famille :travail pour les hommes et
pour les femmes doit être avancée en fonction de l’âge, des conditions
de ressources, la situation familiale…
De
même, au niveau des tâches ménagères dans la sphère privée on
remarque une répartition sexiste des activités. On peut parler à ce
propos de sexisme, c’est-à-dire d’une attitude de discrimination à l’égard
du sexe féminin. Dans un article d’Economie et statistiques de 1990,
« la division du travail domestique. Poids du passé et tensions
au sein du couple », Bernard Zarn
développe une analyse sur cette répartition des tâches. Il remarque
que certaines tâches comme laver le linge sont réservées presque exclusivement
aux femmes. « Ces tâches constituent un domaine encore quasi tabou
pour les hommes… ». A
l’opposé, certaines tâches comme couper du bois sont réservées aux hommes. Bernard Zarn note que certaines activités
sont « négociables ».. Même si, par exemple, faire
la cuisine est une activité traditionnellement « féminine »,
elle peut faire l’objet d’un compromis entre les hommes et les femmes.
L’articulation famille/travail peut montrer, à ce niveau là, une certaine
évolution dans le couple.
C’est
en effet l’activité féminine qui pour le couple a une meilleure répartition
des tâches. Les hommes prennent davantage en charge « la vaisselle,
les courses et la cuisine ». l’homme participe d’autant plus aux
tâches domestiques que son épouse exerce une activité professionnelle.
Emplois du temps montre qu’il n’y a pas totale inversion de la prise
en charge des tâches domestiques quand l’homme ne travaille pas
et que la femme est active. Il
lui reste toujours, au mieux, les tâches féminines et une partie des
tâches négociables. De plus, comme le remarque Bernard Zarn, « l’inversion
symbolique » complète ne se manifeste jamais quelle que soit le
groupe social considéré. On observe toujours une prise en charge graduelle
chez les hommes de la tâche typiquement masculine (laver la voiture)
à la tâche féminine (raccommodage) en passant par les activités négociables
(faire la vaisselle ou les courses). Cependant force est de constater,
que l’activité féminine pousse à faire évoluer l’articulation famille/travail.
En résumé, on peut dire que plus la femme travaille, moins la variable
sexe devient discriminante. Dans un modèle idéal typique où le couple
travaillerait à part égale, le travail domestique devient un objet de
négociation.
Néanmoins,
certaines catégories sociales comme le remarque Bernard Zarn, ont du
mal à faire évoluer cette articulation famille/travail… C’est le cas,
en particulier, pour les exploitants agricoles qui restent un
« pôle de traditionalisme » et où la division du travail domestique
est forte et sexuée. Les artisans, commerçants, chefs d’entreprise
et professions libérales, se rattachent à ce groupe. On remarque que
pour ces catégories socioprofessionnelles, la prise en charge des tâches
domestiques est uniquement réservée aux femmes. Par contre, les salariés,
en général et les cadres supérieurs en particulier qui constituent,
selon Bernard Zarn « l’avant-garde progressiste » et réfléchissent
en termes de temps disponible n’ont plus une vision archaïque de la
femme au foyer. On peut affiner cette analyse, en prenant en compte
les ascendants, le « modèle parental », le niveau de diplôme,
l’activité de la mère de l’homme.
En
ce qui concerne le niveau scolaire, ce qui est intéressant de constater,
c’est que plus le niveau de diplôme est élevé, plus les rôles dans l’institution
familiale se répartissent bien. Et si la femme a un niveau de diplôme
supérieur à celui de son mari, plus celui-ci sera amené à prendre en
charge des tâches féminines et négociables. L’articulation
famille/travail a évolué pour les hommes et pour les femmes comme le
montre l’enquête Emploi du temps de 1985-1986. Dans les relations
qui s’instaurent entre le milieu familial et le monde professionnel,
on constate que ce sont des changements extérieurs au foyer, exogènes
d’une certaine manière, qui poussent à la novation et parfois au renversement
des rôles sociaux. Bernard Zarn le remarque, les changements viennent
« de la ville, de l’école et du monde du travail ». La famille
devient de plus en plus une « famille-association » où la
volonté est d’avoir une « équité sociétaire ». Les normes
inscrites dans l’habitus des individus freinent l’évolution
des comportements. Moins l’institution scolaire, par exemple, a structuré
la personnalité, plus la résistance au changement est importante. De
nombreuses variables peuvent modifier l’articulation famille/travail
et il est difficile de dégager une cause structurante dominante.
Certains
auteurs comme G. Desplanques voient
un retard de calendrier dans le mariage parce que justement la
fonction parentale va modifier les comportements à l’intérieur
du couple. Comme si l’image symbolique de la famille avec enfants imposait
des normes, des attitudes à l’intérieur du couple. Dans cette hypothèse,
l’articulation famille/travail repose sur une base culturelle où la
femme se doit de prendre en charge un certain nombre d’activités. Cette
articulation ne peut évoluer que lentement parce que justement il faut
changer de schèmes de pensées enracinés dans le temps et dans les pratiques
sociales.
Ces
façons de se conduire sont si fortes que les femmes, comme le montre
F. Battagliola, refusent la maternité
parce qu’elles comprennent qu’elles seront d’une certaine manière « dominées ».
L’articulation famille/travail, dans ce cas, n’évolue que faiblement.
Le système de valeurs « obère » les changements au sein de
la famille.
Comme
le souligne G. Desplanques dans la revue : Economie et statistiques,
« Activité féminine et vie familiale », en 1993, le poids
des charges familiales fait diminuer le taux d’activité de celles-ci.
L’écart est fortement marqué entre les femmes sans enfant et les mères
qui en ont trois. Dans les couples qui dédirent dès le départ avoir
une famille nombreuse, 16 % des femmes n’ont jamais travaillé. La femme
ne connaît pas le monde professionnel. Sa « fonction » est
d’élever sa famille. Il faudrait s’interroger sur le choix d’une telle
décision au sein du couple. Est-ce pour des raisons pratiques, économiques,
culturelles… ? Dans ce cas l’articulation famille/travail ne peut
guère connaître de changement. L’image stéréotypée de l’homme au travail,
la femme au foyer, perdure.
A
contrario, une mère seule travaille à 75 % pour les mères de trois enfants.
Dans ce cas, la femme est obligée de concilier activité professionnelle
et vie familiale. Aux deux extrêmes, famille monoparentale et femme
renonçant à l’activité professionnelle, on peut s’intéresser u cas des
femmes diplômées. En effet, d’après les données du recensement de la
population, en 1990, les femmes diplômées pour concilier l’activité
professionnelle, où elles trouvent une reconnaissance sociale, et maternité,
réduisent leur progéniture. Les revenus du couple permettent aussi d’employer
quelqu’un à la maison pour s’occuper
des enfants. On comprend, dans cet exemple, que la fratrie reste une
contrainte, oblige à faire des choix, à limiter le nombre d’enfants.
L’articulation famille/travail repose sur le nombre d’enfants dans la
famille et la capacité (fonction du diplôme) à trouver un travail pour
la femme. On peut en conclure à un changement dans l’articulation famille/travail,
mais celui-ci ne peut se faire que par un renoncement (dans notre cas,
avoir une famille nombreuse).
De
cette enquête, il ressort aussi que les femmes peu diplômées se consacrent
d’autant plus à leur vie familiale que la taille de la fratrie augmente.
D’autres études comme celle de Didier
Bianchet et Sophie Pennec « Hausse de l’activité
féminine. Quels biens avec l’évolution de la fécondité , » dans
Economie et Statistique, en 1996, montre le parallélisme que
l’on peut faire entre la moitié de l’activité professionnelle des femmes
et la diminution de l’indicateur conjoncturel de fécondité. Les nouvelles
valeurs, le changement culturel, une plus longue scolarité, une volonté
d’indépendance, la conjoncture économique… poussent les femmes sur le
marché du travail. Cependant l’envie d’une famille nombreuse demeure
sans forcément voir la réalisation de ce projet. Une partie des familles
arrive à concilier charge familiale et activité professionnelle, u ne
autre partie ne le peut pas et doit donc diminuer sa descendance.
De
plus, l’activité professionnelle des femmes peut se poursuivre si le
niveau culturel des parents est élevé. En effet, comme le montre G.
Desplanques dans un chapitre des Données sociales, de 1993, plus
le « capital culturel » est fort, plus la socialisation est
précoce, plus les parents mettent leurs enfants dans des crèches collectives.
Les milieux populaires préfèrent et privilégient la garde à la maison.
L’articulation famille/travail dans ce cas peut changer pour certaines
catégories sociales. La formation, le diplôme, le capital culturel,
l’habitat dans des centres urbains disposant de capacités d’accueil,
favorisent l’activité féminine, sans refuser la constitution d’une famille.
L’emploi
est une variable déterminante, c’est ce que montre notamment Margaret
Maruani, « l’emploi féminin à l’ombre du chômage », dans a
revue : Actes de la recgherche en sciences sociales,
en 1996. La population active a augmenté entre 1975 et 1995 de 3,3 millions
qui comprennent 85 % de femmes. L’activité professionnelle diminue fortement
avec la venue du troisième enfant. Pour Margaret Maruani, le modèle
dominant de nos jours n’est plus celui du « choix (travail ou famille)
ni celui de l’alternance (travailler – s’arrêter – retravailler), mais
celui du cumul ». Il y a entre hommes et femmes une « homogénéisation
des comportements d’activité. Malgré cela, les taux de chômage féminin
restent plus importants que ceux des hommes. C’est dans leur capacité
à accéder à l’emploi que les femmes peuvent être motrices dans l’articulation
famille/travail. Toute discrimination à leur égard porte la marque d’une
domination masculine, donc d’une inertie dans les rapports hommes/femmes.
Les chiffres du chômage des jeunes femmes montrent qu’une femme sur
trois est au chômage contre un homme sur cinq. « Le chômage des
jeunes, massivement, est un fait féminin ». En ayant des difficultés
à trouver un emploi, les femmes témoignent de la persistance d’inégalités
sociales. Les changements dans l’articulation famille/travail sont à
nuancer et à minorer.
De
plus, comme le remarque Margaret Maruani, la problématique du travail
à temps partiel montre que celui-ci n’est pas forcément du « travail
à temps réduit », mais un mi-temps imposé. Les femmes peuvent-elles
s’opposer aux mi-temps ? Ont-elles d’autres alternatives que le
choix entre un temps partiel ou le chômage ? Le temps partiel pour
les femmes devient une « norme sociale ».
Dans
ces conditions, l’articulation famille/travail reste la même pour certaines
catégories de femmes (qui appartiennent à des classes sociales souvent
défavorisées) ; l’emploi n’est pas choisi dans sa nature et dans
ses conditions (durée) ; la famille quand elle se constitue incite
la femme à s’occuper des enfants, il n’y a pas de compromis entre famille
et travail.
L’emploi
féminin et masculin se différencie sur de nombreuses variables. On note
cependant une forte augmentation du taux d’activité professionnelle
des femmes depuis plusieurs décennies. Quand les femmes désirent avoir
des enfants, la nouvelle situation oblige parfois celles-ci à arrêter
leur activité pour se consacrer à l’éducation des enfants. La réciproque
est peu fréquente pour les hommes. La classe sociale, le niveau de diplôme,
la socialisation,… déterminent l’attitude des femmes vis-à-vis de leur
travail. On peut remarquer, par exemple, pour une femme diplômée, appartenant
à une classe favorisée, une volonté de poursuivre son métier et concilier
activité professionnelle et vie familiale. Dans ce cas, on peut dire
que l’articulation famille/travail a changé pour les femmes et pour
les hommes. En général, ces changements sont minimes.