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L’évolution des classifications professionnelles et socioprofessionnelles épouse-t-elle la dynamique des qualifications ?

L’article « La qualification du travail – Histoire d’une nation » publié dans la revue : Journal de psychologie normale de pathologie en 1955, par Alain Touraine définit la notion de qualification. Il s’attache à montrer d’abord que la qualification est en premier le propre de l’ouvrier et non du poste de travail. La formation se déroule avant le travail donc il n’y a pas « domination » du poste de travail sur le personnel. A. Touraine reconnaît que même si l’habileté, due à la dextérité de l’ouvrier, s’oppose à la qualification professionnelle, due à la formation, elle reste néanmoins attachée à l’homme et non au poste. Avec la production de masse, la rationalisation du travail, la qualification ne se définit plus par rapport à l’individu mais par le « rôle du poste dans un ensemble technique et social de travail ». La qualification dépend des systèmes techniques. A la fin de son article, A. Touraine parle de trois qualifications : professionnelle, technique et sociale. On peut le constater sur cet exemple, la qualification apparaît comme une notion polysémique, donc difficilement définissable. Néanmoins nous retiendront, dans une première acception la définition suivante : la qualification fait référence à une valeur standard, souvent sanctionnée par un diplôme garanti par l’Etat. En revanche, les classifications, en particulier celles élaborées à partir des arrêtés Parodi de 1946, sont des nomenclatures. Elles permettent de différencier les activités professionnelles. Cette taxinomie permet d’établir une grille de classement des ouvriers. Les classifications socioprofessionnelles furent crées en 1950 utilisées dans le recensement de 1954 et rassemblaient l’ensemble des activités professionnelles. Les conventions collectives de diverses tranches professionnelles s’appuyèrent sur la classification Parodi des ouvriers pour établir la nomenclature générale des CSP ou catégories socioprofessionnelles.

Ces définitions des classifications ou de la qualification font apparaître les enjeux inhérents à un ordre social qui se met en place ou qui essaie de se perpétuer. Les classifications permettent de positionner les individus ou les groupes par rapport à certaines valeurs, elles créent une hiérarchie sociale complexe. La question qui se pose ensuite est : comment positionner les individus à l’intérieur d’une nomenclature qui est une construction sociale ? A partir de quels critères de classement ? Dans quelle mesure le système de classifications-qualifications reste-t-il conforme à une logique intrinsèque de correspondances objectives, n’est-il pas plutôt le fruit de rapports sociaux sans cesse évolutifs ?

Pour répondre à ces questions, nous montrerons d’abord, à l’origine, la volonté d’ajustement entre classifications et qualifications, pour nous intéresser ensuite à l’incapacité d’ajustement due au progrès technique, pour enfin réfléchir aux stratégies différentes des acteurs en présence.

Les arrêtés Parodi de 1946 définissaient, en particulier, les classifications des ouvriers par leur travail de transformation de la matière en opposition aux travailleurs non manuels.

Le critère classant les différentes catégories prenait en compte la durée de la formation. Six mois de formation étaient nécessaires pour un ouvrier spécialisé, et l’apprentissage d’un métier était acquis pour un ouvrier qualifié ou hautement qualifié. Ces qualifications ont fait l’objet de conventions collectives et ont déterminé les grilles de rémunération. On constate dans cet exemple la « coïncidence » entre qualifications et classifications. L’apprentissage d’un métier, en termes de durée de formation est le principal critère de classement. Les classifications qui hiérarchisent la main-d’oeuvre découlent des qualifications. Les classifications professionnelles « épousent » les qualifications et la création, en 1954, du code des catégories socioprofessionnelles reprend ce classement. On passe d’une dénomination par métiers à une définition des emplois par la suite ce qui entraîna des changements. Qualifications et classifications se suivent, la formation et le diplôme restent un critère discriminant.

Cet ajustement se retrouve dans le cas de ce que l’on appelle les « marchés formés ». Ces marchés peuvent se définir par le contrôle exercé sur la profession, notamment au niveau des entrées mais aussi sur les conditions de son évolution. Comme le remarque Jean Saglio dans la revue Formation-Emploi, en 1991, les classifications salariales sont un « des critères de mesure de la fermeture des marchés du travail ». Les parties en présence dans ces marchés, sont soucieuses de maîtriser la régulation dans chaque branche professionnelle. Le syndicat, par exemple pour les NMPP (Nouvelles messageries de la presse parisienne) exerce un droit de regard sur les embauches ; dans d’autres domaines, c’est le patronat qui maîtrise les flux d’entrée. C’est dans ces marchés où l’on constate une forte adéquation entre les classifications et les qualifications.  Les intérêts des acteurs présents dans le marché formé, en termes de carrières, de solidarité, font qu’ils attachent de l’importance aux classifications. La qualification est un « passeport » d’entrée, mais d’autres critères, pris en compte, ont un caractère plus officieux (appartenance à un syndicat, idées politiques). De plus, la restriction à un marché particulier, fait que la classification peut être précise et détaillée.

Jean Saglio relève aussi dans l’article de la revue Formation-Emploi, une « logique bureaucratique ». le modèle de la fonction publique est marqué par une certaine stabilité. L’entrée se fait par concours et adopte un caractère impersonnel. La qualification est nécessaire, les classifications sont strictes. Ce modèle de la fonction publique d’Etat date pour sa forme la plus récente du statut de 1947. La classification se présente sous forme de « grades ». L’individu, après la réussite à un concours, entre à l’intérieur d’un « corps ». Il y a correspondance entre qualifications et classifications, même si on remarque de nombreuses rigidités dans le fonction bureaucratique de l’administration. Il est difficile ex ante d’évaluer les potentialités d’un individu dans une fonction qu’il occupera ex post.

Les classifications, qui sont basées sur des critères classants comme dans la métallurgie, la chimie, permettent de bien mettre en relation, niveaux de classification et qualifications. Les méthodes d’évaluation des emplois sont aussi une bonne manière pour faire « coller » au plus juste la qualification et la classification. Ces méthodes critérielles d’évaluation comme celle du cabinet Hay permettent d’analyser et de définir des postes de travail. On leur reproche cependant d’être réservées aux emplois d’encadrement. Elles permettent de bien distinguer la classification du poste et celle du travailleur.  A un poste bien défini, on peut faire correspondre du personnel qui aura la qualification requise, il y a ajustement entre classifications et qualifications.

L’évolution du travail industriel montre bien que la qualification des travailleurs est forcée de suivre les changements technologiques. Le travail taylorien reposait sur une stricte séparation entre la conception qui appartenait au bureau des méthodes et l’exécution par les travailleurs. Il y avait parcellisation des tâches, travail élémentaire sans souci de réflexion ou d’amélioration du processus. La qualification de l’ouvrier, dans le cas du taylorisme « pur », était souvent minimale, de par la forte proportion d’immigrés sans formation et connaissant des problèmes d’acculturation.

Comme le souligne Michel Cézard dans la revue Insee Première, en 1996, dans « Les ouvriers », le travail sur systèmes complexes, de nos jours, oblige les ouvriers pour des raisons d’amélioration de la qualité, à participer et à réfléchir au procès du travail : « Le travail des ouvriers qualifiés s’élargit : aux contraintes anciennes… s’ajoutent de nouvelles urgences », le « rythme de travail est imposé par une demande extérieure ».

Cet exemple nous montre que la nouvelle organisation du travail, notamment dans les années quatre-vingt, avec l’introduction de méthodes venues du Japon, comme les cercles de qualité, fait évoluer, de facto, les qualifications. On demande aux travailleurs en général, des qualités supplémentaires sans que celles-ci soient intégrées dans une classification supérieure. Il n’y a pas forcément surexploitation ou volonté de sous-payer les salariés de la part des chefs d’entreprise qui les embauchent. La qualification, comprise comme expérience, ne se retrouve pas dans les grilles de classification qui évoluent moins vite que les changements organisationnels ou techniques.

L’exemple de la catégorie des employés montre aussi l’influence de la technologie sur le procès de travail. Les employés doivent accomplir des tâches d’exécution dans des fonctions commerciales ou administratives. Dans les années soixante-dix, les employés sont restés cantonnés dans des tâches d’exécution comme l’enregistrement des chèques avec une perte de qualification. On a pu parler à ce sujet : « OS du tertiaire ». La catégorie « employés » de par les tâches à effectue, régressait. C’est l’apparition de nouvelles techniques de traitement de l’information qui changea l’organisation du travail. L’exemple de la lecture optique dans le traitement des chèques, l’automatisation des centres de tri du courrier, l’évolution du travail des secrétaires, sont des conséquences des effets du progrès technique en général et de l’informatisation de la société en particulier. Certaines tâches manuelles ont disparu, en revanche, on a assisté à une évolution du travail vers une plus grande polyvalence, une responsabilité accrue du personnel restant. Cet exemple nous montre que dans l’hypothèse où l’on considère le progrès technique comme un facteur exogène, l’élévation des qualités requises, donc de la qualification, n’est pas répercutée dans les grilles de classification. Dans la catégorie des ouvriers, le parallèle entre la technique utilisée et l’emploi correspondant peut être fait. En 1974, on recensait 2,6 millions de postes d’ouvriers non qualifiés, ce nombre est en constante diminution du fait de l’automatisation des tâches.

On constate un certain désajustement entre qualification et classification, notamment à cause du progrès technique. L’examen de la relation : formation-diplôme-emploi-rémunération-classification, n’est pas régulier, c’est pourquoi les classifications professionnelles et surtout socioprofessionnelles n’épousent pas forcément la dynamique des qualifications. Cette influence du progrès technique se retrouve dans les textes de lois introduits par le ministre du Travail du premier gouvernement Mauroy de 1981. Le texte Auroux imposait la nécessité de négocier  tous les cinq ans, sur les avenants de classification. On relève en particulier, ce passage : « l’évolution technologique rend périmées les anciennes classifications et leur ôte toute valeur ».

La qualification, à l’origine, mettait en avant les capacités nécessaires pour occuper un poste. La qualification se compose des savoirs, savoir-faire, expérience professionnelle et formation initiale. Les syndicats défendent les valeurs individuelles du travailleur face au patronat qui ne s’attache qu’aux qualifications requises pour occuper un poste de travail. Les classifications, qui en découlent, ordonnent et hiérarchisent, dans un système de classement les qualifications. Classent-elles des postes ou des individus ? Comme le suggère M.Alaluf dans son livre : Le temps du labeur. Formation, emploi et qualification en sociologie du travail, en 1986, pour répondre à cette question, il faut s’intéresser, non pas aux qualifications, mais aux structures de qualification.

L’analyse de la qualification par Pierre Naville nous donne un élément de réponse. La qualification, pour lui, ne peut se définir que par rapport à différents critères. Cette notion est relative, donc dépendante de la structure sociale dans laquelle elle s’insère. L’élément essentiel est la « durée d’apprentissage », la formation initiale, qui elle-même dépend aussi de la société étudiée. Ce qui compte pour Naville dans l’appréciation de la formation, c’est « l’acte éduqué ». La formation permet le passage à l’acte, elle s’insère dans le procès de travail.

Mais pour Naville, celui qui travaille sur une machine ou celui qui la conçoit, ne sont pas les mêmes personnes. Il y a ne « domination » du second sur le premier. Domination révélatrice des rapports de pouvoir, qui s’exercent dans la société. Ces rapports hiérarchisent les qualifications, donc donnent naissance aux classifications. Naville montre par là, un certain arbitraire entre classifications et qualifications. Les classifications sont moins un ordre de valeurs purement techniques qu’une volonté classificatoire des rapports de domination. Pour Naville,les classifications ne détaillent pas les qualifications d’un individu mais d’un groupe de travailleurs. Même si on essaie d’évaluer des emplois, les résultats de ces évaluations ne sont  que des agrégats de « grandeur  théoriques hétérogènes, qualitativement différents ». De plus, le salaire payé pour un travail peut être aussi différent selon les individus. Ce qui montre bien qu’il y a disjonction entre « acte éduqué », personnel qualifié, grille de rémunération et classification. L’analyse de Naville, historiquement datée, montre que l’évolution des classifications n’épouse pas forcément la dynamique des qualifications. Si pour lui « l’élément essentiel de la qualification d’un travail, c’est le temps nécessaire à son apprentissage », il n’en reste pas moins qu’elle doit être comprise comme un « rapport social ». Les classifications sont un produit arbitraire des rapports de force dans une société, basé en partie sur la formation initiale.

J.-D. Reynaud et G. Friedmann définissent par rapport à P. Naville, la qualification d’une autre manière et notamment en fonction de quatre éléments. La qualification s’évalue par rapport à la compétence technique, une situation dans une échelle de prestige, les qualités pour exercer dans un poste et la responsabilité dans la production. Cette décomposition de la qualification en différents critères peut permettre d’établir une grille de classification. Encore faut-il se mettre d’accord sur le choix des critères. Les différenciations qualitatives du travail dans l’analyse de Friedmann et Reynaud montreraient une certaine correspondance entre qualification et classifications. Par exemple, une responsabilité plus grande dans le procès de travail permettrait de changer de classement.

Cette notion de compétences, mise en avan par Friedmann et Reynaud est souvent réintroduite de nos jours. Comme le remarque Elisabth Dugné, « La gestion des compétences : les savoirs dévalués, le pouvoir occulté » dans la revue Sociologie du travail en 1994, celle-ci masque les véritables enjeux de pouvoir.

E. Dugné relève que la compétence prend le pas sur la notion de la qualification. De par le flou qui la caractérise, elle est utilisée comme « instrument » pour marquer l’évolution des emplois. Elle ne nécessite plus de détailler les prérequis pour l’occupation d’un poste de travail. Cet exemple nous montre, que par l’introduction de nouvelles notions, la compétence en particulier. La notion de compétence simplifie le travail des gestionnaires qui peuvent subsumer l’évolution des travaux, des formations, des qualifications sous un même terme.

Les classes sociales ont permis d’élaborer les nomenclatures socioprofessionnelles. Les ouvriers, en particulier, formèrent très tôt un groupe organisé, désirant s’opposer à un capitalisme trop brutal. Les cadres, néologisme pour désigner une partie de la classe moyenne qui ne souhaite pas s’associer aux revendications ouvrières et ne possède pas ou peu de capital économique, forme une catégorie sociale issue des conventions. Ces catégories socioprofessionnelles et professionnelles sont le résultat de négociations, d’accords, de conventions entre partenaires. Celles-ci reposent plus ou moins sur des groupes historiquement organisés. Les qualifications ont fait l’objet des négociations et à certaines époques ont été un des éléments principaux des accords. Le progrès technique en particulier, « dépasse » parfois les accords initiaux. C’est pourquoi on peut dire que l’évolution des classifications professionnelles et socioprofessionnelles épousent en partie la dynamique des qualifications. Une notion comme celle de la compétence, plus récemment introduite, englobe mieux la dynamique d’évolution de tout procès de travail. On pourrait s’interroger sur cette notion.

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